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dois aboutir ? Ce résultat est-il le dernier mot de mes longues recherches historiques ? C’est ce que je veux me demander sérieusement une fois dans ma vie. J’ai assez lu, j’ai assez discuté ; l’âge mûr arrive, il faut fermer les livres, me replier au dedans de moi et ne plus consulter que ma raison. » Ainsi parle M. Émile Saisset, et il va couronner cette vivante histoire des grands systèmes philosophiques par une série de méditations où il nous ouvrira toute son âme.

C’est là un heureux emprunt aux habitudes morales du XVIIe siècle. Les plus fiers génies de ce temps-là ne dogmatisaient point comme des gens qui possèdent la vérité a priori, ils la cherchaient, pour ainsi dire, en présence du public. Ils pensaient tout haut et ne craignaient pas d’initier le lecteur à tous les secrets de leurs doctrines. Ce n’étaient pas des prophètes, c’étaient des hommes. L’un d’entre eux a exprimé avec grâce ce caractère si profondément humain de leur génie. Forcé un jour de consulter quelque puissant personnage dans l’antichambre duquel il a perdu inutilement de longues heures, il oppose à l’importance gourmée de l’homme d’affaires la simplicité du philosophe heureux de livrer ses secrets à la foule : « Ô homme important et chargé d’affaires, qui à votre tour avez besoin de mes offices, venez dans la solitude de mon cabinet ; le philosophe est accessible, je ne vous remettrai point à un autre jour. Vous me trouverez sur les livres de Platon qui traitent de la spiritualité de l’âme et de sa distinction d’avec le corps, ou la plume à la main pour calculer les distances de Saturne et de Jupiter. J’admire Dieu dans ses ouvrages, et je cherche, par la connaissance de la vérité, à régler mon esprit et à devenir meilleur. Entrez, toutes les portes vous sont ouvertes… Vous m’apportez quelque chose de plus précieux que l’argent et l’or, si c’est une occasion de vous obliger. Parlez, que voulez-vous que je fasse pour vous ? Faut-il quitter mes livres, mes études, mon ouvrage, cette ligne qui est commencée ? Quelle interruption heureuse pour moi que celle qui vous est utile ! » C’est La Bruyère qui parle ainsi, et il ne faisait pas seulement son portrait quand il traçait cette page, il pensait aux maîtres de la philosophie de son temps. Qu’on se rappelle les confidences du Discours de la Méthode, les cris de Pascal, les méditations de Bossuet, de Malebranche, de Fénelon ; qu’on songe à tant de lettres, aussi ingénues que profondes, où un Descartes, un Arnaud, un Leibnitz, expliquent leurs pensées à leurs disciples et les défendent contre leurs adversaires ; quelle familiarité au milieu des conceptions les plus hautes ! Entrez toutes les portes sont ouvertes… Nous sommes plus guindés aujourd’hui, nous affirmons, nous tranchons ; mais comment sommes-nous parvenus à ce que nous croyons la vérité ? Quels ont été nos doutes et nos angoisses ? Qu’avons-nous ressenti en face de tel ob-