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sans peine pour les reprendre une heure après, qu’on peut traiter en bons compagnons et en connaissances aimables, sont donc les bienvenus. Nous désirons volontiers que rien dans nos lectures ne nous rappelle, même de loin, les fatigues de l’étude ou les émotions que nous avons pris si souvent plaisir à éprouver. Ce serait maintenant une peine pour nous que de trop admirer, de trop sentir, de trop penser. C’est la saison des romans sans prétention philosophique ou sociale, des histoires d’amour, des récits qui peuvent remplacer la conversation d’un ami et faire passer agréablement les lourdes heures de la journée. Une gracieuse histoire d’amour ou un récit de piquantes aventures remplira bien mieux le far niente des mois d’été, sera bien mieux en harmonie avec la vie de loisirs mondains qu’on y mène, que le plus beau poème. Quel livre aimeriez-vous à lire sous les ombrages d’un grand parc et à laisser entr’ouvert sur le banc de gazon où vous vous êtes assis ? Quelque sentimentale aventure, j’imagine, plutôt que quelque ouvrage trop austère, qui put faire croire qu’un pédant était assis à la place que vous venez de quitter. L’été est donc la vraie saison des romans, et parmi les romans, ceux qui n’ont aucune prétention philosophique, politique et sociale, qui sont écrits selon le précepte : ad narrandum, non ad probandum, seront surtout les préférés.

Il y a bien longtemps que je cherchais l’occasion d’entretenir les lecteurs de la Revue des romans de Mme Charles Reybaud, ou, pour mieux parler, — car je n’ai pas à leur présenter une inconnue, — de rappeler à leur souvenir les récits ingénieux et variés de cette femme spirituelle et sensée. L’occasion attendue s’est présentée enfin avec l’arrivée des mois de la belle saison. Les romans de Mme Reybaud sont une de ces lectures qui calment et qui reposent, une des mieux appropriées à cette période de l’année où l’homme, lassé des luttes de sa profession et quelquefois des orages de son cœur, vient demander à la vie un peu de répit et à la nature un peu d’ombre. Emportez-les, comme nous l’avons fait nous-même, à la campagne, au bord de la mer, aux eaux de France ou d’Allemagne, et vous verrez quelle douce compagnie ils vous tiendront et quels bons remèdes contre l’ennui ils sauront vous fournir. Ils vous donneront juste le genre d’émotions que vous réclamez, des émotions qui n’aient rien d’excessif et qui ne troublent pas le repos que vous cherchez. Ils vous entretiendront d’aventures et de sentimens qui sont les aventures et les sentimens de ceux qui vous approchent ; ils vous raconteront le roman non de héros exceptionnels et au-dessus de la moyenne ordinaire de l’humanité, mais le roman des hommes et des femmes qui passent devant vous et avec lesquels vous causerez ce soir. Au sortir de la vie active, des luttes de passion