Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/831

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moins pour les décrire que pour en traduire l’impression.

Lorsqu’on veut mesurer la vigueur et la science d’un peintre, il faut considérer d’abord ses tableaux d’histoire. C’est là que se développent les qualités grandioses, l’art de composer, le style ; c’est là que se trahissent les esprits médiocres. Murillo a tracé deux vastes pages, tirées de l’Ancien et du Nouveau-Testament. Il représenta pour l’hospice de la Caridad, à Séville, Moïse faisant jaillir l’eau du rocher et Jésus-Christ multipliant les pains et les poissons. Ce sont deux pendans, deux cadres qui s’étendent en longueur afin de contenir plus de personnages. Au centre de la première composition, Moïse prie pour remercier le Seigneur qui fait couler une onde abondante ; Aaron contemple avec étonnement le miracle. Tous deux sont isolés au milieu des Hébreux, qui semblent ne pas les voir, s’agitent, admirent, causent, boivent, se groupent avec la liberté d’un jour de marché. Ce drame terrible qu’on appelle la soif, Murillo ne l’a pas compris ; l’élan de reconnaissance d’un peuple arraché à la mort, il n’y a pas songé ; l’inspiration sublime du prophète qui dispose de Dieu et de sa puissance, il ne l’a pas rendue. Il a fait quelque chose de clair, d’intéressant, d’agréable, mais sans accent, je dirai même sans intelligence, puisque la grandeur du sujet lui a échappé. Un instinct heureux et une souplesse aimable ne remplaceront jamais l’énergie de conviction, le sentiment concentré, l’interprétation noble et complète. Otez Aaron et Moïse, dont l’expression est incertaine et qui ne tiennent par aucun lien à l’ensemble, vous aurez un vaste tableau de genre que vous pourrez intituler : Halte à la fontaine. Vous blâmerez encore, il est vrai, le rocher, dont les ombres trop noires font un trou au milieu du tableau ; vous vous plaindrez de l’absence de perspective, vous ne verrez pas sans surprise cet enfant sur un cheval, que Murillo a placé au premier plan ; mais ensuite vous regarderez avec plaisir des scènes diverses, intimes, d’un mouvement vrai, pris sur la nature, les femmes qui remplissent leurs vases et leurs chaudrons, la mère qui désaltère ses enfans, le chien qui boit auprès d’eux. La couleur générale est charmante, quoique la toile ait besoin d’être nettoyée et revernie : les tons présentent ces relations gaies et fleuries dont Murillo possédait le secret. Évidemment le pathétique et le style ne l’ont pas même préoccupé un instant. Dès qu’il a eu, par conscience, achevé les deux personnages sacrés, il s’est dérobé à la gravité du sujet et s’est mis à peindre avec délices les épisodes, la vie familière, les types réels, parce que tels étaient ses goûts, telle était la mesure de ses forces. Aussi, dans la Multiplication des pains, la partie la plus louable, ce n’est ni le Christ, qui tient les pains sur ses genoux et bénit les poissons qu’un enfant lui présente, ni les apôtres