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de la réalité que M. Saisset conserve si ardent et si net au milieu des abstractions de la science. C’est ainsi que, cherchant toujours l’être véritable, l’être concret et actif, quand son adversaire s’enivre de conceptions logiques, il lui montre, au nom de la métaphysique comme au nom du sens commun, que sa théorie de la substance est la négation de toute substance, l’anéantissement de toute vie digne de ce nom, la destruction de Dieu et de l’homme.

« J’ai parcouru en tous sens le monde des idées cartésiennes, y trouvant d’abord de grandes clartés, puis des lueurs douteuses qui m’ont enfin jeté dans de profondes obscurités. Descartes et ses disciples n’ont plus, ce me semble, rien à m’apprendre d’essentiel ; je veux interroger le rival, le contradicteur de Descartes, Isaac Newton. » Nous entrons ici avec notre guide dans un monde tout nouveau. Ce système de Descartes que l’on continue, que l’on développe, que l’on corrompt (car le spinozisme, suivant l’énergique parole de M. Saisset, n’est qu’un cartésianisme corrompu), ce système, que l’on transforme de tant de manières différentes, mais que nul ne contredit en Europe, un jeune homme de vingt-trois ans se lève pour le renverser. Il est vrai que ce jeune homme de vingt-trois ans, physicien de génie, mathématicien créateur a déjà inventé le calcul infinitésimal, analysé la lumière et découvert la loi de l’attraction universelle. En même temps c’est un chrétien convaincu, et à chaque pas qu’il fait dans la connaissance des mystères du cosmos, on le voit, au milieu de ses effrayans calculs, se prosterner devant la Providence avec une piété plus profonde. Comment ne pas désirer savoir exactement ce qu’un Newton a pensé des choses divines ? Ce nom, qui remplit l’histoire des sciences, apparaissait à peine dans l’histoire de la philosophie. Newton n’est pas un métaphysicien qui combine un système ; les principes de sa théodicée, résultat de ses découvertes, sont disséminés çà et là dans ses traités de physique et de mathématiques. Or si les hommes de science spéciale négligeaient cette partie de ses travaux, les philosophes n’osaient guère s’avancer à sa suite au milieu des royaumes de l’algèbre, et la métaphysique religieuse de ce sublime génie était perdue pour le genre humain. M. Émile Saisset a eu le courage et l’honneur de la retrouver. C’est encore son instinct de la réalité qui l’inspirait ici ; au sortir des abstractions cartésiennes, pouvait-il rester insensible à une philosophie toujours appuyée sur les faits, et qui ne se développe même qu’à l’occasion des faits ?

Point de constructions a priori dans le système de Newton ; il observe, il analyse les phénomènes, et va toujours des conséquences aux causes qui les produisent ; il s’avance si loin dans cette voie qu’il atteint la limite où cesse l’action des causes naturelles et où ap-