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palpiter l’épiderme ; un reflet de soleil échauffe la peau sans lui ôter sa fleur délicate. Le front, couronné de cheveux noirs et soyeux, est assez haut, bombé, semé de petites bosses intelligentes, au modelé lumineux, qui se retrouvent plutôt chez les Andalouses que chez les Andalous ; ce trait féminin ne surprendra personne. Les yeux sont noirs, pénétrans, pleins de feu et de passion, pleins de passion surtout. Le bas de la figure est moins louable, ce qui est fréquent aussi à Séville, où les plus beaux visages pèchent par la bouche et le galbe du menton. L’ensemble de l’impression, c’est l’ardeur, l’intelligence, la sensualité. Un tel tempérament était retenu par le frein de la religion, par la tyrannie de l’inquisition, et surtout, dans un temps où le clergé et les ordres possédaient tant de richesses et disposaient de presque toutes les commandes, par la tyrannie de l’intérêt bien entendu. Que Murillo fût dévot, cela n’est point l’objet d’un doute. Jusqu’à quel point se livra-t-il à l’amour et aux plaisirs, je l’ignore, car les détails manquent sur sa vie privée ; mais je sais, parce que je le vois dans ses œuvres, que ses tendances, ou contenues, ou dissimulées, ou satisfaites, se sont épanchées dans les tableaux religieux. De là les langueurs, les tendresses béates, les extases, de là les Vierges d’une beauté si humaine, les enfans Jésus d’une grâce plus charnelle que divine, les anges qui auraient désespéré Boucher et son école, les saints et les moines qui ressemblent à des amoureux et qui adorent avec une ivresse terrestre la croix, la Madone ou le Christ. La passion se répandait par ces ouvertures permises : c’est ainsi que parfois dans les couvens le mysticisme procède du bouillonnement secret des sens. À ce point de vue, Murillo, le plus religieux des peintres par le sujet, est un des plus païens par le sentiment. Chez lui, la forme parle plus haut que l’idée, parce qu’elle emprunte ses charmes à la nature, à la beauté trop persuasive, à la chair, ou du moins à une certaine volupté discrète et contenue que la dévotion comporte, quand elle est jeune, accorte, bien constituée.

Telles sont les réflexions que le portrait de Murillo conseille, et, si l’on n’oublie pas quelles étaient alors les mœurs religieuses de l’Andalousie, on reconnaît combien il était l’homme de son temps. Je croyais, comme tout le monde, que l’Italie méridionale était le pays où le paganisme antique avait laissé le plus de traces, et où ses pratiques s’étaient mêlées de la façon la plus étroite aux dogmes du christianisme ; mais Naples est à l’Andalousie ce que Port-Royal est au catholicisme : c’est en Andalousie qu’il est juste de s’écrier que les saints sont partout, Dieu nulle part. Et quels saints ! quelles idoles grossières ! quels jouets que de grands enfans habillent, déshabillent, parent à leur gré ! Toutes les statues sont peintes ou attifées