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scepticisme raisonné sur certaines conceptions et certaines tentatives de l’esprit humain appliqué à la politique. En même temps un ressentiment juste et passionné contre le mal et ses auteurs pouvait l’entraîner au besoin de venger par leur humiliation la justice et l’humanité qu’ils avaient outragées. Avec ces deux dispositions, un esprit ferme, oisif et mécontent était en voie d’arriver au royalisme, et à quelque chose de plus, la contre-révolution. Le royalisme était en soi une opinion fort légitime, plausible même, qui pouvait avoir le défaut tout au plus de n’être pas le moyen le plus prudent et le plus praticable de rétablir l’ordre dans les circonstances données. L’esprit contre-révolutionnaire était une erreur moins innocente et qui, pour gagner un esprit sain, avait besoin d’être recommandée par l’intérêt ou suggérée par la passion. Cette erreur ou cette tendance, très commune à la fin du dernier siècle et au commencement de celui-ci, a donné des lettres de crédit à toute espèce de despotisme.

Royer-Collard fut royaliste avec beaucoup de sagesse et beaucoup de décision. Dès qu’il eut conçu la restauration comme démenti donné à la révolution, comme frein donné à l’anarchie, il pensa qu’ayant cette opinion, il devait se compromettre pour elle, et il entra dans les affaires de la maison de Bourbon. Ce fut, comme on le sait, à la double condition qu’il resterait inconnu au comte d’Artois et à l’étranger. Cette exception atteste un discernement alors rare chez quiconque s’avouait royaliste. C’était concevoir la restauration sans l’esprit de l’émigration et sans le concours de la coalition. Ce pouvait être une abstraction difficile à réaliser, un éclectisme tant soit peu chimérique ; mais ainsi l’espérance de la restauration n’était pas une spéculation sur la ruine de la France. Cette seule précaution suffit pour justifier Royer-Collard de toute connivence avec la politique purement contre-révolutionnaire. Je n’oserais pourtant pas l’absoudre de tout contact avec l’esprit de la contre-révolution. Il était fort difficile de s’en préserver après la convention ou vers la fin du directoire, lorsqu’on éprouvait le généreux désir de mettre un terme au désordre et à l’oppression. Une solidarité publique, apparente, enchaînait alors jusque dans les termes les mauvais souvenirs et les mauvaises doctrines de la république conventionnelle ou directoriale à certains principes proclamés soit par la révolution de 1789, soit même par la philosophie du XVIIIe siècle ; aussi ne pouvait-on aisément s’empêcher de réagir contre tout à la fois, et des hommes que la contre-révolution réalisée aurait offensés et consternés se laissaient aller à des vœux et à des conseils qui pouvaient y conduire. On posait par réaction des principes dont la conséquence eût été l’abandon