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beaucoup dépassé le maître. » Qu’aurait-il dit vingt ans plus tard ? Ce ne fut pourtant ni la science mathématique, ni l’enseignement en général, qui détermina la carrière que devait parcourir Royer-Collard. Il vint à Paris et ne fît qu’y traverser la maison des pères de la doctrine chrétienne : la vie du siècle l’appelait, et il se plaça, pour apprendre le droit et les affaires, chez un de ses parens, Royer de Vaugency, procureur au parlement. Il fut reçu avocat et plaida de 1787 à 1789. Recommandé à Gerbier, qui avait été élève de son oncle Collard au séminaire de Troyes, il ne le connut pas longtemps, six mois seulement ; mais il l’entendit, ainsi que l’avocat-général Séguier, qu’il voyait chez lui et dont Portalis a composé l’éloge. Il estimait beaucoup dans l’un et l’autre l’art de la parole, mais surtout dans Gerbier, qu’il regardait comme fort supérieur pour le talent et surtout pour le caractère. Il disait que l’homme en qui il avait le plus reconnu l’éloquence, la pure éloquence, l’art de bien dire, c’était Gerbier. Le spectacle des audiences du parlement, le spectacle de la grand’chambre lui avait laissé un profond souvenir. Cette grande compagnie judiciaire avait gardé quelque chose des anciennes mœurs. La gravité des formes, la dignité extérieure des habitudes conservées dans une magistrature indépendante et gallicane, devaient produire Une vive impression sur un avocat préparé par l’éducation que nous avons décrite. Il aimait à se rappeler avec quelle ardeur il avait pris part à toutes ces manifestations de palais où le jeune barreau et la jeune basoche soutenaient de leurs clameurs les résistances éclatantes par lesquelles le parlement força la cour à la convocation des états-généraux.

On se tromperait en effet si, parce qu’il avait été nourri dans une école de gravité et d’austérité, on se figurait un être froid et impassible, toujours contenu dans les limites de la réserve et de la prudence. À quatre-vingts ans, il aimait à nous dire : « J’ai toujours été une mauvaise tête. » Le vrai, c’est qu’il réunissait une sévérité de principes, une dignité naturelle et acquise, une volonté forte, qui le préservaient facilement des faiblesses vulgaires ; mais il était ardent et ferme, il n’éprouvait rien faiblement. Les premières impressions étaient chez lui très vives ; il n’en revenait pas aisément. Peu porté à se défier de lui-même, il ne travaillait pas à maîtriser, à supprimer ce qu’il sentait ; il s’y livrait au contraire avec quelque impétuosité. Sa raison n’était pas entièrement soustraite à son imagination. C’était un sage passionné. Sa constitution robuste semblait ajouter à l’énergie de ses passions en même temps qu’à celle de son âme. Je n’ai pas connu d’homme au même degré mobile et inébranlable. On conçoit qu’une telle nature avait dû ressentir tous les feux de la jeunesse. Les sollicitations de la mollesse ou du désœuvrement