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à la fortune sont saisis tout à coup d’un vertige de vanité qui tarit en eux les bons penchans qu’ils avaient reçus de la nature. L’histoire des virtuoses est remplie d’exemples d’ingratitude, et tel fils de chaudronnier qui gagne cent mille francs à estropier des chefs-d’œuvre dont il ne comprend pas l’esprit ne se souvient plus du pauvre maître qui lui a appris à balbutier la langue divine de l’art.

Né au commencement du XVIIIe siècle, alors que la musique dramatique était aussi presque dans l’enfance, Farinelli fut un phénomène de l’art de charmer les hommes par les prodiges de la voix. Porpora développa l’organe merveilleux qu’il n’avait pas reçu, hélas ! de la bonne et simple nature, et il lui communiqua son goût exagéré pour un genre d’ornemens alors très à la mode, appoggiatures, trilles, en style d’école, et dont les cantates de Porpora sont aussi chargées que les sonates de Corelli, de Durante ou de Domenico Scarlatti. Le temps, l’expérience, l’exemple de Bernachi et les bons avis de l’empereur Charles VI donnèrent au goût de Farinelli une direction plus sévère : l’artiste simplifia son style, et devint en peu d’années le plus admirable chanteur qu’on eût jamais entendu. Il étonna l’Europe, il gouverna un royaume par les accens pathétiques d’une voix incomparable, et a laissé dans l’histoire un nom qui représente l’âge héroïque de la mélodie et de l’art de chanter.

J’ai eu le bonheur de rencontrer à Munich, en 1826, le vieux ténor Ronconi, le père de l’artiste distingué que nous avons applaudi pendant si longtemps à Paris. Ronconi, qui avait parcouru une carrière brillante comme chanteur dramatique, était alors professeur de chant des princesses de Leuchtenberg, les filles du prince Eugène Beauharnais. Il me donna quelques conseils, et je me plaisais à interroger ses souvenirs sur les grands chanteurs qu’il avait pu entendre. Ronconi m’entretenait souvent de Farinelli, qu’il n’avait jamais vu, mais dont un vieux sopraniste qu’il avait connu dans sa jeunesse lui avait parlé avec enthousiasme, en lui expliquant la méthode qui dirigeait le talent exquis de l’élève de Porpora. Par les écrits de Mancini, qui, dans son livre d’Il canto figurato, expose longuement la manière de chanter de Farinelli, par les nombreux détails qu’ont recueillis les voyageurs et les biographes contemporains, par la tradition du vieux sopraniste qu’avait connu Ronconi, et que celui-ci me révélait de sa vieille voix de ténor, j’ai pu me faire une idée du style admirable de Farinelli, chantant au roi d’Espagne Philippe V les deux fameux airs de Hasse, Pallido è il sole et Per questo dolce amplesso.

P. SCUDO


ESSAIS ET NOTICES

LE COMMERCE ÉTRANGER EN CHINE.


Shang-haï, 1er  août 1861.

Les affaires de Chine vont mal. On n’a pas à signaler de grands désastres, et pourtant mieux vaudraient peut-être de sérieuses difficultés avec l’espoir