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parut à Venise en 1784[1], deux ans après la mort du célèbre chanteur. Le poète Wieland a publié dans le Mercure allemand de l’année 1788 une notice intéressante sur Farinelli. Le voyage en Italie du docteur Burney, ce qu’il dit de Farinelli dans son Histoire de la Musique, les ouvrages de Gerber, de Grossi, de Mancini, etc., sont des sources diverses où l’on trouve des renseignemens sur la vie et le talent du célèbre sopraniste. Enfin, dans le second volume de la deuxième édition de sa Biographie universelle des musiciens, M. Fétis a résumé avec clarté les faits connus de la vie de Farinelli.

Farinelli a été incontestablement le plus admirable virtuose de l’époque où il a vécu. Doué d’une voix de soprano très étendue, douce, flexible et d’une limpidité sans égale, il reçoit tout enfant les conseils de Porpora, c’est-à-dire du plus excellent maître qu’il y eût alors en Italie. Il débute à Rome à l’âge de dix-sept ans dans tout l’éclat de sa première jeunesse, et il enchante le public par les qualités naturelles qui le distinguent et quelques artifices de vocalisation. Il parcourt triomphalement les grandes villes de la péninsule, se mesure avec les artistes les plus habiles de son temps ; mais il rencontre à Bologne un rival redoutable, le sopraniste Bernachi, qui lui révèle une manière supérieure de chanter, dont Farinelli a le bon sens de profiter. À Vienne, où Farinelli se rend pour la troisième fois, en 1731, il trouve dans l’empereur Charles VI un homme de goût qui achève, par ses conseils éclairés, de modifier son style, encore trop brillant. Devenu un chanteur pathétique et touchant, Farinelli quitte l’Italie en 1734, et il se rend à Londres, où pendant deux ans il est l’idole du public anglais. En 1736, la destinée conduit Farinelli en Espagne, et lui ménage la plus grande fortune que puisse rêver un virtuose. Favori de deux rois malades dont il distrait la mélancolie par le charme de sa voix, Farinelli devient un personnage important dont l’influence se fait sentir jusque sur les affaires d’état. Renversé brusquement de la position élevée qu’il avait occupée pendant vingt-cinq ans, Farinelli retourne en Italie en 1761, et se fixe à Bologne, ne pouvant revoir la ville de Naples, qui lui avait donné le jour. C’est dans un beau palais qu’il s’est fait construire à une lieue de Bologne qu’il achève sa brillante carrière, et qu’il meurt vingt et un ans après avoir revu son pays. Riche, célèbre, visité incessamment par les voyageurs les plus distingués de l’Europe, Farinelli ne peut oublier cependant le temps heureux de sa puissance à la cour d’Espagne ; il pleure en regardant les portraits de Philippe V et de Ferdinand VI, et il attriste encore ses derniers jours par une passion malheureuse qui est moins rare qu’on ne le croit dans la vie des sopranistes. Un grave reproche pèse sur la mémoire de Farinelli et sur celle de Caffarelli, son condisciple, dont nous aurons à nous occuper une autre fois : riches tous les deux, ces deux célèbres sopranistes, qui remplissent le XVIIIe siècle de leur nom, ont laissé mourir de misère, à l’âge de quatre-vingts ans, leur maître, l’illustre Porpora ! Il ne faut pas craindre de le dire, ce n’est guère par les sentimens de reconnaissance que se distinguent ces talens magiques, mais éphémères, qui enchantent toute une génération. Sortis presque tous des classes infimes de la société, les chanteurs et les artistes dramatiques en général qui arrivent au succès et

  1. Vita del Cavalière don Carlo Broschi, detto Farinelli, in-8o.