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qu’il s’était tracé. Une raison exigeante réclamera sur bien des points autre chose que la simple affirmation de la conscience humaine. Elle voudra savoir sur quoi se fonde la légitimité de cette affirmation, et si les faits de l’expérience ne la contredisent pas. Or il serait impossible de revendiquer pour Parker l’honneur insigne d’avoir entièrement fourni, soit la preuve rationnelle, soit la confirmation expérimentale de ses principes, d’ailleurs si généreux et pénétrés d’un spiritualisme si élevé. Parker avait le regard profond, mais il n’avait pas le génie spéculatif. J’entends par là qu’il saisissait avec une rare promptitude les deux points extrêmes d’une série de vérités connexes, mais qu’il était moins heureux dans l’art de dérouler les anneaux intermédiaires. Il y a quelque chose d’incomplet, de contradictoire même, dans ses vues sur la nature morale de l’homme et sur le caractère du Christ. On peut être soi-même fort indépendant vis-à-vis du vieux dogme sans approuver l’espèce de fureur iconoclaste dont il est parfois saisi quand il en parle. En un mot, Parker n’a pas réussi à organiser ses vues religieuses, à en faire un tout bien proportionné et bien ordonné. L’opulence des formes, qu’il doit à son éloquence servie par une vaste érudition, ne saurait voiler entièrement une certaine monotonie provenant du retour incessant de quelques idées favorites qui se font jour partout. Comment expliquer cependant la puissance qu’il a exercée, qu’il exerce encore après sa mort ? Cette puissance ne vient pas, nous l’avons vu, du caractère imposant, dominateur, de sa pensée. Parker n’est pas un homme capable, comme Hegel, de faire entrer toute sa génération dans son moule intellectuel, de telle sorte qu’elle ne sache plus comment en sortir. Cette puissance ne vient pas non plus de son érudition. La multitude ne sait guère apprécier ce genre de mérite. On ne peut pas davantage assimiler l’influence du pasteur américain à celle qu’un Zinzendorf, un Swedenborg surtout, ont due à une imagination ardente nourrie par un mysticisme sans frein. Non, tout le secret de cette puissance, ce qui définit, à mon avis, le prédicateur de Boston mieux que toutes les catégories dans lesquelles on pourrait le ranger, c’est que Théodore Parker a été un prophète dans la plus vraie et la meilleure acception de ce mot. Il est une de ces apparitions contemporaines qui nous permettent mieux que bien des recherches de comprendre le passé et de le saisir dans ce qu’il eut de plus intime. Cet homme qui aurait pu vivre tranquille à l’ombre de son figuier, et qui s’en va de ville en ville prêcher « contre les péchés du peuple, » cet homme, dominé par une idée simple, grande, contenue déjà dans la religion de son enfance et la constitution de sa patrie, — l’idée du libre développement de la personne humaine, — qui consacre sa vie à dégager cette idée de toutes les entraves