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pleine de verve piquante et de cordialité. C’est là qu’il écrivit son autobiographie, sous prétexte de répondre à une lettre des plus affectueuses qu’il avait reçue de ses paroissiens de Boston. Il se livrait à sa vieille passion, la botanique, et à sa passion plus récente, à la noble entreprise qui absorbait toutes ses pensées, l’émancipation des. esclaves. Il trouvait à Santa-Cruz une population noire libérée depuis onze ans, et dont la prospérité, les progrès le ravissaient d’aise. Il se promettait de cette enquête faite de visu les plus heureux résultats en faveur des nègres encore asservis de l’Union américaine. On crut qu’un voyage en Europe achèverait sa guérison. Il semble au contraire que cette dernière visite au vieux monde lui ait été fatale. Il traversa l’Angleterre, la France et la Suisse avec les alternatives tour à tour favorables et alarmantes propres à la maladie qui devait l’emporter. Pendant six semaines qu’il passa au chalet de Combe-Varin, dans la Suisse française, entouré d’amis et de soins, l’espoir de la guérison put encore se ranimer.

Nous devons au savant professeur Desor un intéressant récit de la manière dont le malade passait son temps dans cette pittoresque retraite du Jura où des hommes de nationalité différente, mais pour la plupart éminens dans les sciences ou dans les lettres, s’étaient réunis et charmaient par des entretiens du plus haut intérêt les loisirs que leur imposait une santé affaiblie. Là Parker se rencontra et se lia d’une vive amitié avec l’excellent Hans Küchler, ministre de l’église catholique allemande de Heidelberg, l’un des hommes les plus respectables qui se soient associés au mouvement, d’ailleurs si mélangé, que suscita le prêtre Ronge il y a une quinzaine d’années. La mort subite de Küchler à Nidau, au moment où il se disposait à rejoindre sa famille, jeta un triste voile sur la réunion de Combe-Varin[1]. Des conversations du chalet helvétique est sorti un album publie par les soins de M. Desor, où se trouve, à côté d’excellens articles scientifiques, une boutade de Parker lui-même, intitulée Pensée d’un Bourdon sur le plan et le dessein de l’univers. C’est une satire spirituelle du langage, des raisonnemens, des habitudes pédantes des sociétés savantes, mais en particulier de certaines théories fondées tout entières sur la prétention de l’homme à se poser en dernier mot de la création. Peut-être quelques écrivains

  1. M. Hans Loronz Küchler était avocat à Heidelberg, et s’est surtout distingué par le courage et le talent qu’il a déployés en faveur des pauvres égarés, victimes de la fièvre révolutionnaire de 1848, et que la compression de l’insurrection badoise avait fait tomber sous la juridiction exceptionnelle des conseils de guerre prussiens. Küchler réussit, malgré les circonstances les plus décourageantes, à dérober nombre d’accusés à la peine de mort, et il fut le consolateur et le soutien de ceux que ses beaux plaidoyers ne purent sauver.