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qui l’écoutent. Ce commencement était le plus souvent froid et aride. Peu à peu l’émotion sacrée le gagnait, les applications se déroulaient sans beaucoup d’ordre, mais serrées, pressantes, sans ménagemens d’aucune sorte, sous une forme à la fois positive et poétique dont nous ne connaissons guère d’exemples dans notre littérature européenne. Le même morceau passait souvent, et en très peu de temps, de l’humour qui provoque le sourire aux tons attendrissans de la sensibilité la plus exquise. On pourrait croire que chez Parker le sentiment austère du devoir, l’énergie virile, la passion concentrée pour les causes préférées, prédominaient au point d’étouffer ce qu’on peut appeler le côté féminin du cœur, la tendresse, la sympathie, l’indulgence. On se tromperait fort : Parker pouvait pleurer comme un enfant, lorsqu’il entendait raconter ou qu’il racontait lui-même un trait de dévouement ou de résignation. Nous n’en voudrions d’autre preuve que le délicieux fragment que nous empruntons à l’un de ses sermons le plus fortement marqués au coin de sa personnalité, un sermon of old age, dans lequel il montre, par une série de portraits, qu’une vie consciencieuse et aimante est la condition d’une heureuse vieillesse. Il a parlé du vieux débauché, du vieil avare, du vieux kidnapper (qu’il s’est bien gardé d’oublier), du vieil ambitieux, de la vieille coquette, représentés chacun par une figure expressive. Il arrive enfin à des vieillesses d’un tout autre genre, et dans miss Kindly par exemple il nous offre une charmante personnification du dévouement.


« Miss Kindly est la tante à tout le monde, et depuis si longtemps, que personne ne se souvient de l’avoir connue autrement. Les petits enfans l’aiment beaucoup. Il y a quelque soixante ans qu’elle aidait leurs grand’mères à faire leurs toilettes de noces, et c’est à sa bourse que le grand-père de ce jeune garçon doit d’avoir pu suivre les cours du collège. Les générations qui la suivent la bénissent. C’est son travail patient qui a fourni au père de cet homme le moyen de prendre son essor. C’est elle qui lui a mis dans la main le germe fécond de la grande fortune qu’il possède aujourd’hui. C’est son inépuisable bonté qui a rempli la coupe, source de cette brillante renommée qui maintenant se répand comme un fleuve sur le vaste monde. Aujourd’hui elle est vieille, bien vieille. Les petits enfans qui rôdent autour d’elle, ébahis et roulant de grands yeux, s’émerveillent qu’on puisse être vieux comme cela, et qu’un jour tante Kindly ait eu aussi une maman qui l’embrassait sur la bouche. Pour eux, elle est du même âge que le soleil, une des institutions du pays. À Noël, son arrivée est toujours accompagnée de tant de jolis cadeaux, qu’ils la prennent pour Mme Saint-Nicolas[1] en personne, ce qui ne l’empêche pas d’avoir préparé la crèche du Messie dans plus d’une pauvre cabane…

  1. Saint Nicolas, dans les pays du nord, est, selon la légende, le distributeur des cadeaux mérités par les enfans sages.