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« Et Judas Iscariote a mauvaise réputation dans le monde chrétien ! On l’appelle « le fils de perdition ! » On taxe sa conduite de criminelle, et même le Nouveau Testament prétend que le diable dut entrer en lui pour lui inspirer son hideux forfait ! Ah ! dans quelle erreur nous sommes ! D’après nos légistes et nos hommes d’état républicains, Judas Iscariote n’a fait que remplir ponctuellement « ses obligations constitutionnelles. » C’était uniquement sur le fait de dénoncer la retraite du Seigneur que la loi le sommait de se mêler de cette affaire. Il prit donc ses trente pièces d’argent, — environ quinze dollars (un Yankee le fait pour dix, ayant moins de « préjugés à vaincre »). C’était son honoraire légitime, reçu comptant. À la vérité, les chrétiens ont pensé que c’était « le salaire d’iniquité, » et même les pharisiens, — qui d’ordinaire, nous est-il dit, annulaient les commandemens de Dieu par leurs traditions, — n’ont pas osé souiller leur temple avec ce « prix du sang. » C’était pourtant un honnête argent, honnêtement gagné. C’était de l’argent aussi honnête que la prime touchée par un commissaire américain pour un service du même genre. Dans quelle erreur sommes-nous donc ! Judas Iscariote un traître ! Allons donc ! Ce fut un patriote ! Il a su « vaincre ses préjugés ! » Il a su accomplir « un devoir désagréable, » un devoir de « haute moralité ! » Il a maintenu la loi et la constitution ! Il a fait tout ce qu’il pouvait pour « sauver l’union ! » Judas, tu es un saint ! « La loi de Dieu n’ordonne jamais de désobéir aux lois humaines ! » Sancte Iscariote, ora pro nobis ! »


Des poursuites furent dirigées contre Parker à la suite de ce discours, dont l’effet fut immense. Parker se mit aussitôt à préparer sa défense, qu’il comptait présenter lui-même. C’eût été, on le conçoit, un nouveau triomphe pour le parti abolitioniste. C’est ce que comprit le parti opposé, et, sous prétexte de formalités négligées dans les préliminaires de l’instruction, les poursuites furent abandonnées.

Nous ne pouvons suivre Parker dans toutes les phases de sa lutte contre, l’esclavage : elle remplit d’amertumes et de joies les dernières années de sa vie. Plus d’un échec bien douloureux pour son cœur de chrétien et de patriote fut encore infligé à sa cause de prédilection. Pourtant il voyait le parti abolitioniste grandir tous les jours et recruter peu à peu les hommes les plus honorables et les plus capables de l’Union. Au reste, les questions à l’ordre du jour ne l’empêchaient pas de traiter les sujets les plus intimes de la vie religieuse quotidienne. Sa prédication était profondément originale, comme sa personne : elle eût presque toujours étonné, quelquefois choqué un Européen peu habitué aux libres allures de la chaire américaine. Ordinairement il commençait par poser des principes abstraits ou par rappeler des faits bien connus, débutant ainsi par ce plain statement of facts, lequel, si l’on observe bien, fait partie intégrante de tout discours anglo-saxon qui prétend convaincre ceux