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de la loi les populations qui l’avaient vue décréter avec le plus de répugnance ; mais un comité de vigilance s’établit à Boston sous la présidence de Parker, et ne craignit pas de déclarer publiquement qu’il s’opposerait à l’exécution de la loi. Dans l’espace d’une année, il réussit à faire passer au Canada près de quatre cents personnes de couleur. L’exemple fut suivi par d’autres villes du nord. Dans plusieurs d’entre elles, la population tout entière déclara qu’elle en voulait faire partie. C’est sous la direction de ces comités que s’organisa le chemin de fer souterrain, entreprise secrète qui avait pour but d’aider les esclaves fugitifs à échapper aux kidnappers, aux officiers de police et à ces chiens dressés à la poursuite des noirs, que les républicains du sud ne rougissaient pas de lancer à la piste des pauvres fuyards. Chaque année depuis lors, près d’un millier de fugitifs a profité du chemin de fer souterrain[1].

Un cas très particulier força Théodore Parker à déclarer plus nettement encore sa résistance ouverte à la loi fédérale. Deux de ses paroissiens, jeunes époux qui vivaient honnêtement de leur travail dans Boston, furent réclamés par leurs anciens maîtres du sud. Il était trop facile de prévoir ce qui les attendait, s’ils étaient enlevés : de cruels châtimens pour le mari, l’envoi de la femme dans quelque infâme maison de Charleston ou de la Nouvelle-Orléans, car c’est une des malédictions de l’esclavage que la nécessité où sont les maîtres de déployer une inexorable dureté envers les fugitifs réintégrés de force dans la servitude. Ces deux infortunés, ne sachant que devenir, se réfugièrent chez Parker. Celui-ci n’hésita pas. Il avertit sous main quelques amis du comité de vigilance et fit tenir aux kidnappers et aux policemen de Boston l’avis que quiconque pénétrerait dans son domicile pour en arracher ses hôtes ne le ferait qu’au péril de sa vie. Le fils d’un agriculteur américain n’est jamais embarrassé pour manier le pistolet ou l’épée. Accusé bientôt dans une conférence de pasteurs d’avoir donné l’exemple de la résistance à main armée contre une loi régulièrement votée par les conseils de l’Union, Parker se défendit de manière à ôter à ses censeurs toute envie d’y revenir. Il faut citer textuellement quelques passages de cet admirable discours :


« Oui, dit-il, j’ai des noirs dans mon église, des esclaves fugitifs. Ils sont la couronne de mon apostolat, le sceau béni de mon ministère. Je suis obligé de prendre soin de leurs corps, si je veux sauver leurs âmes… J’ai donc été obligé d’ouvrir ma maison à mes paroissiens et de les mettre à l’abri des griffes des voleurs d’hommes. Oui, messieurs, j’y ai été obligé, et

  1. Ce sera un jour une histoire bien curieuse à faire que celle du chemin de fer souterrain. En ce moment, tout le monde comprendra que la plus vulgaire prudence ordonne de se taire sur les moyens mis en œuvre pour le fonder et l’entretenir.