Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/73

Cette page a été validée par deux contributeurs.

problèmes, la pente des esprits, et qui a qualité pour juger toutes ces choses avec autant de savoir que de vigueur. J’ai parlé d’un groupe d’hommes qui remplit aujourd’hui le même rôle que remplissait Leibnitz à la fin du XVIIe siècle ; en Allemagne, ce sont des disciples de Kant, rectifiés, j’ose le dire, par l’esprit de la France cartésienne, et je nommerai parmi eux MM. Hermann Fichte, Fortlage, Weisse, Ulrici, Trendelenburg ; en France, ce sont les élèves, les continuateurs de Royer-Collard, de Maine de Biran, de Victor Cousin, de Théodore Jouffroy, groupe d’élite dont l’un des représentans les plus autorisés est assurément le vigoureux traducteur et critique de Spinoza, l’auteur de l’Essai de Philosophie religieuse, M. Émile Saisset.

I.

J’ouvre ce livre, et tout d’abord je vois que je ne me suis pas trompé en rapprochant le XVIIe siècle et le XIXe. Voilà un philosophe qui veut résoudre les plus hautes difficultés philosophiques et religieuses de notre temps, et tout naturellement ce sont les philosophes du siècle de Descartes qu’il va interroger. Il ne s’enfermera pas dans cette période, toutes ses pensées sont dirigées vers nous ; il ne saurait pourtant résister à l’attraction du siècle où toutes ces questions furent développées avec autant d’audace que de puissance. C’est là qu’est pour nous le point de départ, et s’il nous reste beaucoup à faire, car chaque époque a ses erreurs à réfuter et ses vérités à conquérir, c’est encore le siècle de Descartes qui est notre foyer de lumière et de vie dans le domaine des sciences métaphysiques. Un grand problème, souvent traité dans le monde ancien, mais écarté alors par des solutions sommaires plutôt que débattu avec persévérance, le problème de Dieu et du monde, du fini et de l’infini, est devenu au XVIIe siècle la préoccupation de l’humanité virile et chrétienne. Descartes, Malebranche, Spinoza, Newton, Leibnitz, y ont déployé toutes les ressources de leur génie, et quand on lit la correspondance de ces grands hommes, on voit combien d’âmes s’intéressaient à ces recherches, combien d’esprits étaient capables de les suivre dans leurs spéculations audacieuses. Bien que le XVIIIe siècle, représenté par quelques intelligences supérieures, n’ait pas été étranger à ces questions sublimes, il avait un autre rôle à jouer dans le drame du monde. En somme, on peut dire que le problème de Dieu et de l’homme, du Créateur et de la création, a été surtout développé au XVIIe siècle, et que l’époque où nous vivons a eu l’honneur de le ressaisir.

Dans ces grandes théories métaphysiques du XVIIe siècle et celles