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l’unitarisme était plus riche de bonnes intentions que de résultats. Beaucoup d’hommes éclairés, qui éprouvaient le besoin d’une religion simple et pratique et ne pouvaient plus supporter le joug de la vieille orthodoxie, respiraient à leur aise dans cette atmosphère plus douce et plus large. Reste à savoir si en s’adoucissant la religion ne s’était pas quelque peu affadie. Une certaine sécheresse, un rationalisme vulgaire et bourgeois laissaient parfois regretter les dogmes, irrationnels sans doute, mais grandioses, de l’orthodoxie traditionnelle. Le déisme, avec sa froide religiosité, perçait à chaque instant. Le mysticisme, cet élément inséparable de toute religion vivante et parfaitement légitime tant que, se bornant à la sphère du sentiment, il ne prétend pas régenter arbitrairement la conscience et la raison, se trouvait quelque peu réduit dans l’unitarisme à l’état d’un ange dont on aurait coupé les ailes. La philosophie et la critique lui faisaient défaut comme à tout le protestantisme anglo-saxon de ce temps-là. C’était encore le sensualisme de Locke qui trônait dans les écoles théologiques de l’ancienne et de la nouvelle Angleterre. Comme, dans un tel système, tout vient à l’homme du dehors, il fallait donc, pour obéir aux voix intérieures qui réclament énergiquement des croyances, des devoirs et des espérances, se réfugier dans l’idée d’une révélation extérieure, miraculeuse, s’imposant à l’homme avec l’arbitraire de l’autorité absolue. Aussi l’unitarisme, si libéral en matière de dogme, était-il resté très attaché au point de vue surnaturel et aux anciennes idées concernant l’origine et l’autorité miraculeuses des livres de la Bible. Il était tout aussi habile que l’orthodoxie à plier au gré de ses désirs les textes concordant mal avec ses doctrines particulières, et si le malheur eût voulu que le symbole d’Athanase se fût trouvé dans l’Écriture, ses docteurs eussent certainement entrepris de démontrer qu’il n’enseignait pas la Trinité.

Ces explications étaient absolument nécessaires pour faire comprendre la direction qu’adopta l’esprit indépendant et résolu de Théodore Parker. Il avait lu les théologiens et les philosophes de l’ancien monde. Kant et « la brillante mosaïque de M. Cousin » l’avaient éloigné à tout jamais des théories sensualistes. Son ardente imagination s’abreuvait avec délices aux grandes eaux du mysticisme. Trop religieux pour tomber dans le panthéisme, il empruntait à la philosophie allemande ses deux plus hautes conceptions : l’immanence de Dieu dans la nature et dans l’histoire, puis la loi du développement, condition essentielle et nécessaire des êtres finis. Dieu n’est plus seulement l’être inconnu siégeant bien loin par-delà les étoiles et laissant à l’ordinaire le monde marcher comme une montre remontée : Parker sent, il adore sa présence dans l’univers entier,