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travaux manuels nécessaires à l’entretien de sa famille. S’il lui fallait parfois travailler vingt heures de suite, son esprit, singulièrement précoce, avide de connaissances, utilisait tous les loisirs que lui laissaient d’aussi rudes occupations. Il avait peu de volumes à sa disposition, mais ce petit nombre valait bien des bibliothèques. Outre les grands poètes anglais, favoris de sa mère, il avait la Bible, quelques classiques latins et grecs, qu’il lut d’abord dans les traductions, bientôt dans l’original ; enfin la nature ouvrait à sa curiosité enfantine son grand et merveilleux livre. Il n’oublia jamais les belles leçons qu’elle lui donna ; comme il le disait encore lui-même, « je n’avais pas beaucoup de livres, mais il y avait beaucoup dans ce que j’en avais[1]. »

De très bonne heure il se sentit attiré par un goût très vif vers les fonctions du ministère évangélique. Un moment ébranlé dans sa vocation en voyant la plupart des ministres américains de son temps ne pas dépasser un niveau assez bas sous le rapport du savoir et de l’indépendance, il eut des velléités de se vouer à la jurisprudence ; il en fut détourné par son insurmontable répugnance à juger les choses d’après la lettre d’une loi écrite plutôt que d’après les dictées de la conscience pure, et il revint à sa première inclination. Le docteur Channing, dont l’astre montait alors à l’horizon et dont il était l’auditeur assidu, contribua beaucoup à le réconcilier avec les fonctions du pasteur ; mais, en prenant une décision définitive, Parker se jura à lui-même qu’aucune opinion traditionnelle ou sectaire, aucun intérêt politique ou personnel ne l’empêcheraient jamais de dire tout haut ce qu’il croirait vrai, lors même que la vérité qu’il aurait à dire serait impopulaire et détestée. Jamais serment ne fut mieux tenu.

L’étonnante aptitude de Parker au travail se révéla dans toute sa puissance à l’université d’Harvard, où il suivit les cours de théologie, tout en donnant des leçons pour subvenir à ses dépenses. Il eut bientôt réparé le temps perdu et dépassé ses condisciples et ses professeurs. À vingt-quatre ans, il savait à fond dix langues ; à sa mort, il en possédait vingt. En 1837, il fut appelé à desservir la petite paroisse unitaire de West-Roxbury, près de Boston. La communauté était peu nombreuse, les devoirs pastoraux peu absorbans, et le jeune ministre put mettre à profit ses loisirs pour étudier et réfléchir encore. Les quelques années qu’il passa à West-Roxbury

  1. Un trait de son enfance donnera une idée anticipée de son caractère. Il désirait ardemment avoir une bible à son usage, celle de la famille étant trop précieuse pour qu’on la lui abandonnât. Le jeune Théodore se mit à cueillir des myrtiles dans la forêt voisine et alla en vendre à Boston, amassant ainsi sou par sou la somme nécessaire a l’acquisition du volume. Il n’avait alors que sept ans.