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des genres est désormais assez confuse pour qu’il nous soit permis de préférer un joli badinage dans une feuille légère à une lourde page dans un gros livre, de même que nous préférons une joyeuse pochade de petit théâtre à une blafarde comédie des imitateurs de M. Scribe. Ce pauvre esprit d’ailleurs, — c’est de l’esprit français que nous parlons, — a eu dans ces derniers temps trop d’humiliations et d’entraves pour qu’on songe à lui envier un seul des moyens qui lui restent de se manifester avec ses anciens privilèges de malice frondeuse et de fine raillerie. Il faut cependant rappeler une distinction essentielle. Aux époques de liberté et de lutte, le petit journal peut faire office de cavalerie ou d’artillerie légère : la cause qu’il sert, l’idée qu’il aiguise, le péril réel ou imaginaire qu’il court, peuvent relever son rôle ; mais depuis qu’il ne lui est plus possible d’attaquer les grands de ce monde et qu’il est même forcé de les flatter un peu pour qu’on lui permette de vivre, il a dû nécessairement chercher d’autres élémens de succès, et ceux-là n’ont pas toujours été d’aussi bon aloi : sa considération en a souffert. Il s’est enrichi peut-être, mais assurément il ne s’est pas ennobli. À cette première objection ajoutons les convenances d’âge et de situation littéraire. Si chaque âge a ses plaisirs, chaque âge aussi a sa littérature. Murger avait débuté et réussi dans le petit journal, rien de mieux ; mais Murger sept ou huit ans plus tard, après avoir publié plusieurs romans remarquables et pris rang dans la vraie littérature, redescendant à ses vieilles habitudes et écrivant quelque plaisanterie d’atelier entre une anecdote de coulisses et une nouvelle à la main, Murger ne nous donnait-il pas un assez triste spectacle ?

Le théâtre a aussi exercé, selon nous, une fâcheuse influence sur les dernières phases de sa carrière, et cette remarque pourrait s’appliquer à d’autres. Étrange anomalie ! le théâtre occupe dans la société moderne, dans le monde parisien surtout, une place toujours croissante et que nous n’hésitons pas à déclarer excessive : il possède un budget énorme, il entretient une population dont l’existence s’identifie avec la sienne ; ses finances sont plus compliquées et mieux surveillées que celles de maint petit état. Ses produits pourraient être cotés à la Bourse, et ses producteurs les mieux rentes, devenus ses économes, n’ont rien négligé pour lui donner l’importance commerciale et aussi les allures d’une grande manufacture en pleine activité. Ce ne sont pas là les seules marques de sa prépondérance : il a le privilège d’imprégner de sa vie propre et de son atmosphère particulière tout un côté de nos mœurs contemporaines ; il donne le ton à une foule d’intelligences, qui n’agissent, ne pensent, ne parlent que d’après lui ; il popularise tous les caprices de cette langue usuelle et familière qui envahit de plus en plus la véritable. Cette influence, ces