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meilleure, et fit d’heureuse tentatives pour donner à son talent plus d’horizon et d’espace. Nous trouvons une mélancolique douceur à nous rappeler le temps où nous l’avons connu, où nous le vîmes trouver un accueil sympathique à la Revue des Deux Mondes, que l’on accusait dès lors de méfiance hautaine à l’égard des jeunes gens et des nouveaux noms. Ce front déjà dévasté, ce visage dont les traits fins portaient l’empreinte des fatigues du travail, de la pensée, de volupté peut-être, cette physionomie douce, moqueuse et triste, où passaient tour à tour l’élégie et la comédie, tout cet ensemble nous causa une impression singulière, une vive sympathie, mêlée d’étonnement et d’inquiétude. À voir ce jeune homme chauve, drapé dans un habit noir où se révélaient plusieurs genres de deuils, comment se défendre d’une curiosité affectueuse et d’un douloureux pressentiment. Comment ne pas songer à ces créations shakspeariennes où se confondent les larmes et l’éclat de rire, où la tragédie joue avec le crâne du poor Yorick ? Ce fut là, nous le croyons, le moment décisif dans la carrière de Murger. Ce fut alors qu’en face d’un public agrandi, recruté dans les rangs de la société tout entière, il écrivit des récits dont les personnages différaient peu, à vrai dire, de ses héros primitifs, mais où la trame était plus forte, l’allure plus ferme, le style plus sobre, l’analyse plus pénétrante, l’étude des caractères mieux approfondie. Les figures ne variaient guère leurs expressions et leurs attitudes : mais l’artiste était plus habile et les serrait de plus près. Bientôt à cette bonne influence s’en joignit une autre non moins salutaire : Murger aima sincèrement la campagne ; cet instinct paysagiste qu’il possédait à un haut degré, et dont il a donné des preuves excellentes, l’attira hors de Paris, en pleine forêt de Fontainebleau, sur le seul point de la banlieue qui ait conservé, à travers les empiétemens parisiens, un caractère de grandeur et de grâce sauvage digne des véritables artistes. C’est à Marlotte, on le sait, dans un vrai village où fraternisent le rustique et le pittoresque, que Murger a passé ses dernières années. Rien ne pouvait mieux lui convenir que ce nid de verdure et de mousse, tapi sous ces vieilles futaies, fréquenté par une colonie de peintres et de flâneurs spirituels qui l’animaient sans le gâter. C’est ce qu’il appelait se mettre au vert. Dans cette vie au grand air, parmi ces scènes agrestes et familières dont il aspirait et dont il a su rendre l’arôme salubre et calmant, il trouvait, sinon l’oubli, au moins le correctif de ce fiévreux Paris dont il avait trop hanté les zones torrides, de ce régime échauffant, désordonné, aussi funeste à la santé de l’esprit qu’à celle du corps. N’était-il pas trop tard ? Murger n’imitait-il pas ces malades qui attendent, pour songer à se soigner, pour essayer de se guérir, que leur mal soit incurable ? Paris d’ailleurs, ce Paris qu’il