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Nous avons connu une jeunesse qui ne ressemblait pas à celle-là : on ne pouvait l’accuser pourtant de dédaigner la poésie, la passion, la rêverie, l’enthousiasme. Elle en vivait, elle en palpitait, comme ces corps vigoureux qui nous laissent voir un généreux sang courir sous l’épidémie, un souffle puissant soulever la poitrine ; mais à tout cela elle mêlait un idéal de grandeur intellectuelle et morale, un goût de liberté et de justice, une ardeur de découverte et de conquête dans tous les domaines de la pensée. Elle était jeune en un mot dans le présent et dans l’avenir, car, encore une fois, la jeunesse véritable et complète est celle qui prépare et fait pressentir ce que sera la maturité. Est-ce cette jeunesse que nous retrouvons dans la nouvelle génération littéraire, parmi ces groupes que Murger a peints, et dont il est resté lui-même un des types les plus instructifs ? Assurément non : pour ceux-là, la passion et la poésie, la jeunesse et la fantaisie n’existent qu’à la condition d’ignorer tout ce qui se passe au-delà du temps où elles se jouent et du monde où elles s’agitent, de rompre avec tout ce qui n’est pas elles, avec tout ce qui les rattacherait à la société et à la vie, de s’isoler, de se replier sans cesse sur elles-mêmes, jusqu’à ce qu’elles tombent d’épuisement et de lassitude. Voilà ce qui frappe cette littérature de stérilité et de monotonie, même chez les meilleurs, même chez ceux qui, comme Murger, tentent parfois de lui échapper. « Ils referont perpétuellement le même poème, le même roman, la même comédie, nous écrivait récemment un poète ; il n’y a de croissant et de varié que le talent qui s’appuie sur une âme tout entière et non pas sur une seule passion, fût-ce l’amour, sur un seul âge, fût-ce la jeunesse, sur une seule faculté, fût-ce l’imagination. » — Là est la vérité, le reste est mensonge. Oui, une âme tout entière, c’est-à-dire l’homme tout entier avec l’inépuisable contraste de ses grandeurs et de ses misères, de ce qu’il a d’immortel et de ce qu’il a de périssable, de ses passions fugitives qui naissent et meurent avec chaque printemps, et de ses facultés viriles que la lutte exalte, que l’âge affermit, que la douleur retrempe ! C’est à ce prix que s’acquiert cette force de renouvellement et de maturité qui donne au poète, au romancier, à l’artiste, le droit de vieillir sans se fatiguer ni se répéter. En dehors de cette condition suprême de fécondité et de beauté, il n’y a pas de milieu, pas de transition entre une juvénilité persistante et un dépérissement précoce. Triste consolation, quand on voit tomber un poète avant la quarantième année, d’avoir à se dire qu’il est mort à temps, qu’il n’était plus que l’ombre du poète aimé et qu’il allait se survivre à lui-même !

Toutefois il serait injuste d’oublier qu’Henry Murger, après la Vie de Bohème et les Scènes de la Vie de Jeunesse, chercha une veine