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chose encore, le sentiment, vague peut-être, mais vivace, d’un infini, d’un idéal supérieur à ce que l’on perd : il y a une âme en un mot, et avec elle un avenir, une destinée, un poème, dont ces fugitives amours n’auront été que le prologue.

Mon âme est immortelle et va s’en souvenir !


s’écrie à travers ses sanglots le plus éloquent, le plus émouvant de ces poètes du regret. Voilà ce qui manque chez Murger et ses amis : le petit monde qu’il connaît si bien et qu’il décrit avec charme n’a pas d’horizon ; c’est sur le néant et sur l’ombre que s’ouvrent les fenêtres de ces mansardes où gazouillent de futiles amours sous le gai rayon de la vingtième année. Que le rayon s’éteigne, que les fauvettes se taisent, que le temps fasse un pas, que la chanson amoureuse expire dans le vide, tout est dit, il ne reste plus rien ; non-seulement le conte est fini, mais le conteur n’a plus sa raison d’être ; il était jeune, il ne l’est plus ; il n’est pas mûr, il ne le sera jamais. Toute pruderie à part, c’est là une condition d’infériorité, et ceux dont l’attention avait été éveillée par les brillans débuts d’Henry Murger eurent bientôt à craindre de le voir défaillir et tomber du côté où il penchait.

On se plaît d’ordinaire à rechercher les origines des poètes, les premières impressions de leur enfance, et à expliquer par ces détails, quelquefois apocryphes, certains traits de leur physionomie, certaines tendances de leur talent. Cette espèce de légende n’a pas manqué pour Henry Murger, bien que ses amis les plus bruyans l’aient volontiers laissée dans le vague. On a parlé d’une enfance débile et pauvre, ayant eu pour tout horizon une loge de concierge ou un établi de tailleur, mais égayée par le voisinage de Béranger et bercée sur les genoux des illustres filles de Garcia. Il n’est pas jusqu’à son nom, avec ses petites bizarreries d’orthographe et de ponctuation, ajoutées après coup par un charlatanisme bien innocent, qui n’ait contracté un air de ballade d’outre-Rhin, un léger parfum germanique et bohème, tout à fait en harmonie avec ce que devait être plus tard le poète ou l’amant de Musette et de Camille. Tout cela est assez poétique en effet, mais fort inexact. Ce qui est plus vrai, ce que Murger lui-même nous a dit bien des fois, c’est qu’il était né au pied du Mont-Blanc, en pleine Savoie, dans un pays dont les enfans, généralement peu enclins à la dissipation insouciante, nous donnent au contraire l’exemple proverbial de la prévoyance et de l’économie. N’y aurait-il pas, si on y attachait plus d’importance et de certitude, un contraste assez piquant à établir entre cette origine et cette existence ? L’esprit genevois, on le sait, avec ses qualités