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de hautain qui rend la persuasion difficile. L’étude morale est plus féconde et plus douce : chacun de nous a sa part des enseignemens qu’elle recueille et des vérités qu’elle invoque. L’âme humaine étant engagée dans le débat, nous devenons à la fois juges et justiciables, et tout ce que nous essayons de découvrir dans ce monde intérieur, plein de défaillances et de mystères, retombe en partie sur nous-mêmes : solidarité précieuse, qui donne à la leçon toute sa portée en l’appliquant tout ensemble au moraliste, à son sujet et à son auditoire.

Si nous cherchons avant tout dans les œuvres de Murger un sujet d’étude morale, c’est le recueil posthume de ses vers qu’il faudra interroger d’abord, et ici on nous permettra de dire que trop de silence a succédé à trop de bruit. Ce volume des Nuits d’hiver offre même un intérêt réel, sinon comme œuvre d’art, au moins comme renseignement personnel, comme expression fidèle de l’état de cette âme, du néant où elle laissait peu à peu tomber toutes ses illusions juvéniles, des pressentimens sinistres qu’elle mêlait à ses regrets. Certaines pièces de ce recueil, le Requiem d’amour, la Chanson de Musette, le Testament, la Ballade du Désespéré, mises en regard des pages les plus significatives d’Henry Murger, y jettent une dernière lueur ; elles pourraient leur servir de complément et de commentaire, y figurer comme des fleurs séchées entre les feuilles d’un herbier ou d’un livre de botanique. Dans ces poésies, le sentiment est très supérieur à la forme ; le sentiment est souvent pénétrant et vrai, la forme est indécise et négligée. Contradiction remarquable, et qu’il faut noter en passant, engagé très avant dans l’école dite réaliste, ami et admirateur des maîtres les plus raffinés de la ciselure et de l’arabesque, Murger était au fond, et fort heureusement, beaucoup moins réaliste qu’il ne le croyait lui-même. Il a très peu sacrifié aux recherches, aux excès du style et de la couleur. Sauf quelques métaphores d’atelier, quelques-uns de ces abus à la mode qui ne permettent plus à l’idée de faire son chemin sans l’affubler d’une image, sa prose est pleine de naturel : elle est de bonne race et de bon aloi ; elle brille par le trait plutôt que par l’ornement. On pourrait çà et là lui reprocher des négligences plutôt que des prodigalités. De même, dans ses vers, on est tout surpris de rencontrer à profusion de mauvaises rimes, des hémistiches incolores, des couplets d’almanach, des frugalités d’ajustement à faire croire que les ciseleurs ne sont pas venus ; mais parmi ces deux cents pages il y en a cinquante que l’on ne peut lire sans émotion, il y en a dix qui nous ont fait monter aux yeux quelques-unes de ces larmes amères que le poète a dû verser entre deux funèbres sourires. Ces pages-là nous le livrent une dernière fois avant que son cœur ait cessé de