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variés que dans l’Ardenne et même que dans la Hesbaye. On ne laisse plus reposer la terre que de loin en loin. En fait de céréales, l’épeautre est remplacé par le froment, et le méteil, dont on fait le pain que mangent les classes laborieuses, occupe plus de place que le seigle. Des récoltes de trèfle, de pommes de terre, de féveroles, intercalées entre celles des produits épuisans, ont conduit à un assolement plus judicieux, dont bientôt la jachère sera complètement bannie. Le nombre des bêtes à cornes est proportionnellement plus considérable que dans le Condroz, celui des moutons au contraire l’est beaucoup moins ; mais une des principales sources de profit pour les exploitations de ce pays, c’est l’élève des porcs. La race locale, moins haute sur jambes, plus courte et plus ramassée que celle des Flandres, a quelques-unes des qualités du cochon anglais. Elle se nourrit facilement, et quand on a engraissé les porcs pendant une couple de mois avec du seigle, des féveroles moulues et des pommes de terre, on en obtient un bon prix sur les marchés français.

Avec son doux climat, ses gracieuses collines et ses beaux rochers, la zone du Bas-Luxembourg est sans contredit l’une de celles qu’on visitera en Belgique avec le plus de plaisir. La Semoy, dans ses capricieux et innombrables méandres, l’arrose tout entière, et baigne les murs des pittoresques petites villes de Chiny et de Bouillon. Le sol, sans être trop morcelé, est divisé entre un nombre considérable de parts, presque toutes exploitées directement par les propriétaires. Chacun pour ainsi dire cultive son propre champ et peut s’asseoir à l’ombre de son noyer. Il en résulte pour tous une sorte d’aisance rustique qui dérive non de la possession de grands capitaux, mais de l’abondance de toutes les denrées. Une réelle égalité règne dans les conditions sociales : nul n’est assez riche pour atteindre à l’opulence et à l’oisiveté, nul non plus n’est assez pauvre pour connaître les extrémités de la misère. C’est ainsi que dans ce pays agreste, où les beautés de la nature s’unissent, pour former de charmans paysages, à celles qui trahissent la culture et les soins de l’homme, une population honnête et laborieuse peut subsister et même augmenter son bien-être en perfectionnant ses procédés agricoles, sans renoncer à une division du travail et de la propriété qui favorise une équitable répartition des produits. Aussi conseillerions-nous au voyageur agronome qui voudrait connaître les diverses régions rurales de la Belgique de terminer ses excursions en visitant cet heureux district, afin que, sous l’empire de la dernière impression, il conserve un plus agréable souvenir de sa tournée.


EMILE DE LAVELEYE.