Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dance, enfin mille symptômes révèlent le profond affaissement philosophique et religieux du siècle qui avait produit le cartésianisme et Port-Royal. C’était donc pour arriver à ce résultat que tant de grands esprits, un demi-siècle auparavant, avaient étonné le monde par la vigueur et la fécondité de leur foi spiritualiste ! On se figure aisément la douleur de Leibnitz, lorsque, dernier représentant de cette forte race, il jette les yeux sur la scène philosophique. Descartes et ses glorieux disciples ont disparu depuis longtemps ; Bossuet et Arnauld sont morts ; Fénelon est encore là, mais il semble uniquement occupé de préparer le règne du duc de Bourgogne ; d’ailleurs il écrit peu pour le public : c’est seulement par hasard et par des mains étrangères que le Traité de l’Existence de Dieu va être mis au jour en 1713, sous une forme incomplète. Leibnitz est donc le dernier survivant de cette génération virile, l’unique héritier de cette période créatrice qui s’ouvre en 1636, et quand il veut se rendre compte de la situation morale de son temps, quand il cherche les fruits obtenus par tant de généreux efforts, que trouve-t-il ? Ce grand travail de la pensée spiritualiste, arrêté dans son cours ou détourné de ses voies, est venu aboutir à une impiété grossière. « Rien n’est plus rare en France que la foi chrétienne, écrit en 1699 la princesse palatine. Il n’y a plus de vice ici dont on ait honte, et si le roi voulait punir tous ceux qui se rendent coupables des plus grands vices, il ne verrait plus autour de lui ni nobles, ni princes, ni serviteurs… » Cette impiété a beau se dissimuler sous un formalisme hypocrite, il n’y a pas de masque pour un homme tel que Leibnitz ; il voit les choses à nu, et c’est alors qu’il écrit cette sombre page :


« Les opinions contraires à l’existence de la Providence et à la responsabilité dans l’autre vie, s’insinuant peu à peu dans l’esprit des hommes du grand monde qui règlent les autres et dont dépendent les affaires, et se glissant dans les livres à la mode, disposent toutes choses à la révolution générale dont l’Europe est menacée, et achèvent de détruire ce qui reste encore dans le monde des sentimens généreux des anciens Grecs et Romains, qui préféraient l’amour de la patrie et du bien public et le soin de la postérité à la fortune et même à la vie. Ces publics spirits comme les Anglais les appellent, diminuent extrêmement,… et ils diminueront davantage quand ils cesseront d’être soutenus par la bonne morale et par la vraie religion, que la raison naturelle même nous enseigne… On se moque hautement de l’amour de la patrie, on tourne en ridicule ceux qui ont soin du public, et quand quelque homme bien intentionné parle de ce que deviendra la postérité, on répond : Alors comme alors ! Mais il pourra arriver à ces personnes d’éprouver elles-mêmes les maux qu’elles croient réservés à d’autres… Si cette maladie d’esprit épidémique va croissant, la Providence corrigera les hommes par la révolution même qui en doit naitre, car, quoi qu’il puisse arriver,