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Les terres anciennement cultivées le sont à peu près comme celles de la région que nous venons de parcourir, et l’économie rurale présente les mêmes caractères distinctifs : l’épeautre est la céréale alimentaire qui domine, la jachère occupe dans les fermes environ la quatrième partie des terres arables, et, faute de bétail, les engrais manquent. Dans certains cantons, on fume tous les trois ans, dans d’autres tous les cinq ans seulement ; mais par suite de la facilité des communications, par l’influence des industries diverses qui se sont développées dans la contrée, l’agriculture a fait depuis quelque temps des progrès notables. Le drainage a été appliqué sur une grande échelle, les plantes fourragères ont empiété sur les jachères improductives, la race bovine s’est accrue, et l’on commence à comprendre les avantages de la production du beurre. Le nombre des bêtes à laine, qui décroît partout en Belgique, a augmenté ici, et, proportion peu ordinaire dans le royaume, on compte à peu près un mouton par hectare. Déjà l’utilité des racines fourragères est appréciée, les instrumens perfectionnés sont adoptés, la machine à battre est introduite dans plusieurs grandes fermes. Cependant on conserve encore une pratique agricole très primitive, mais qui avait une grande importance à l’époque où les bois occupaient presque toute la contrée, et qu’on retrouve également au-delà de la frontière, dans la Thiérache, région de la France qui forme en quelque sorte la continuation de l’Entre-Sambre-et-Meuse belge. Lorsque dans les bois la coupe est faite, on met le feu aux herbes et aux feuilles mortes qui couvrent le sol, puis on prépare la terre à la houe entre les souches du taillis, et, grâce aux cendres et aux détritus végétaux accumulés, on obtient deux bonnes récoltes de seigle ou de pommes de terre. L’aspect que présente la superficie noirâtre et calcinée des bois avant les semailles étonne le voyageur ; dans cette forêt, qui semble consumée par un vaste incendie, on croirait voir l’un de ces défrichemens hâtifs qu’improvisent les squatters américains entre les troncs des arbres restés debout. Cette opération, assure-t-on, ne fait aucun tort à la croissance du taillis, et les propriétaires qui consentent à la laisser pratiquer sur leurs domaines en retirent un supplément de revenu qui n’est pas à dédaigner.




III

Lorsqu’en parcourant le Condroz on atteint quelque point élevé, on voit se découper sur le ciel, au-delà du bassin de l’Ourthe, les profils bleuâtres de grandes croupes arrondies qui par endroit s’étagent les unes au-dessus des autres. Ces croupes, c’est l’Ardenne, le pays de prédilection des touristes et des gourmets. Pour le touriste,