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étendue trop grande des exploitations eu égard à l’état actuel des mœurs et des idées, augmentation régulière et prévue des fermages, enfin mauvais emploi du capital, telles sont les causes principales qui empêchent une application plus intelligente des forces humaines à la culture de la terre et à l’accumulation de bétail et d’engrais nécessaire pour lui faire produire des fruits plus abondans. L’extrême densité de la population, qui oblige a des efforts extraordinaires sous peine de famine, la mauvaise qualité du soli qui nécessite d’abondantes fumures pour donner un produit quelconque, le goût instinctif des populations pour les travaux champêtres, ces circonstances particulières expliquent comment, sous l’empire de la même législation, dans le cercle très borné des mêmes frontières et avec des contrats agraires identiques, la culture des provinces flamandes peut présenter d’aussi grands contrastes avec celle du Condroz et celle de la région voisine située entre la Sambre et la Meuse.

Cette partie de la province de Namur se rattache au Condroz tant par la constitution du sol que par les procédés mis en œuvre pour le faire valoir. Compris dans le triangle formé par la Meuse, la Sambre et la frontière française, ce pays était encore, il y a quelques années, couvert de bois de haute futaie. C’était le reste de la grande forêt charbonnière, sylva carbonaria, qui jadis séparait la Belgique de la France, et que traversèrent les Francs de Clovis pour aller combattre les légions de Syagrius. Cette contrée sauvage et peu habitée, où le sanglier et le chevreuil trouvaient d’impénétrables retraites, ne contenait naguère encore que quelques localités peu importantes, Philippeville et Marienbourg, villes fortes illustrées par plus d’un siège, Walcourt, enrichi par un pèlerinage renommé à vingt lieues à la ronde, Couvin, centre des ventes de bois, richesse principale du pays. Depuis quelques années, cette région a complètement changé d’aspect. Les voies ferrées qui- la traversent dans tous les sens sont venues donner une valeur inattendue à tous les produits du sol, qu’on s’est hâté de mettre en exploitation. On a abattu les arbres séculaires, qui, débités en charpente, en billes pour les voies ferrées, en étais pour les charbonnages de Charleroi, se sont vendus à des prix trois ou quatre fois plus élevés que jadis. Comme aucun règlement n’arrête le déboisement, l’industrie a bientôt fait place nette pour la culture. De tous côtés, les forêts défrichées avec de grands bénéfices pour les acquéreurs ont permis à de nouvelles exploitations, généralement assez vastes, de s’établir. La terre ainsi livrée à la charrue est de bonne qualité ; reposant presque partout sur le calcaire, avec des amendemens bien entendus et des engrais suffisans, elle donne de meilleurs produits que dans le Condroz, parce qu’elle est mieux abritée des vents froids de l’est.