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fermes est l’une des causes de l’infériorité de la culture dans le Condroz ; mais il en est encore une autre.

Pour engager une somme un peu forte dans une opération agricole, toujours longue et chanceuse au moins en apparence, il faudrait la certitude que l’on jouira du résultat de ses sacrifices et de ses efforts, s’ils sont suivis de succès ; or cette certitude, les contrats agraires ne la donnent pas. Le fermier n’ignore point que si par des améliorations intelligentes il a augmenté les forces productives de la terre, il n’en profitera pas longtemps. Au renouvellement du bail, qui expire ordinairement après neuf années, il devra payer le fermage, non d’après les produits que la terre donnait d’abord, mais en raison de la fécondité qu’elle a acquise, et dont ses concurrens seront prêts à payer le loyer au propriétaire. Cette appréhension arrête naturellement le cultivateur, peu enclin à exposer son avoir en des expériences nouvelles pour améliorer la terre d’autrui. D’ailleurs le fermier jouit ici d’une large aisance rustique ; il vit beaucoup mieux que le fermier flamand. La population est peu dense ; l’étendue même des exploitations limite jusqu’à un certain point la concurrence, et il obtient un intérêt assez élevé des fonds engagés dans sa ferme. Son sort est à peu près celui que dans sa condition il croit pouvoir espérer. Rien ne le. pousse à faire des efforts dont un autre plus que lui recueillerait les fruits, à essayer des méthodes plus avancées dont il ne voit pas bien, sinon la possibilité, au moins la nécessité.

Qu’on n’allègue pas que la culture laisse à désirer parce que le capital lui fait défaut ; cette expression vague, dont on abuse, n’a guère de sens dans l’application qu’on en ferait ici. En effet, constater que la culture est arriérée, c’est affirmer qu’elle manque de bons instrumens, d’engrais et de bétail ; or, comme ces choses constituent précisément le capital agricole, dire que la culture est arriérée parce que le capital lui manque, c’est avancer un truisme qui ne donne point la raison du fait qu’il prétend expliquer. L’agriculteur a sous la main la mine inépuisable non-seulement de tout ce que l’on consomme, mais aussi de tout ce qui, sous des formes diverses, sert d’auxiliaire au travail dans l’acte de la production. La terre, cette mère féconde de toute richesse, est prête à lui prodiguer ses dons, s’il dirige avec intelligence ses forces naturelles. Quand on a vu en Belgique même les cultivateurs des sables de la Flandre et de la Campine, livrés à eux-mêmes, accumuler sur les champs rebelles qu’ils occupent assez de bétail et d’engrais pour les porter à un très haut degré de fertilité, on peut affirmer qu’il dépend de l’habileté de celui qui exploite la terre d’y créer sur place le capital nécessaire pour en tirer tout ce qu’elle peut produire. Si donc en Condroz