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nitz composa sa Théodicée, et l’auteur des Pensées sur la Comète y est interpellé à chaque page. Rien de plus curieux en un mot que l’émotion produite à la fin du XVIIe siècle par le dilettantisme subtil de la critique, si ce n’est l’attention respectueuse et l’opposition persévérante qu’il provoque chez cet illustre maître.

Il y aurait assurément quelque chose de puéril à vouloir retrouver parmi les écoles philosophiques de notre siècle tels et tels personnages de la période que je viens de décrire. Ne serait-ce pas toutefois fermer ses yeux à l’évidence que de ne pas remarquer ici des analogies singulières ? Nous aussi, il y a une quarantaine d’années, nous avons vu grandir une noble école spiritualiste, tandis que le Spinoza du XIXe siècle dominait la pensée de l’Allemagne ; nous aussi, nous avons vu le dilettantisme de la critique, avec une merveilleuse souplesse, populariser chez nous les idées du Spinoza germanique. Enfin, à défaut d’un Leibnitz, ne voyons-nous pas aujourd’hui tout un groupe d’intelligences d’élite qui, préoccupées à leur tour des dangers que court la philosophie, redoublent d’ardeur pour maintenir les éternels principes auxquels est attachée la dignité de notre nature ? Ce rapprochement ne saurait blesser personne, et nous pouvons, sans crainte d’être injuste, tirer de ce spectacle les enseignemens qu’il renferme.

Sous des influences très diverses, parmi lesquelles il faut compter au premier rang le despotisme religieux et l’hypocrisie, qui en est la suite obligée, le doute à la fin du XVIIe siècle envahissait tous les esprits, l’impiété se répandait dans toutes les classes. Les grands dogmes de la religion naturelle, l’immortalité de l’âme et la responsabilité dans une autre vie, — c’est Leibnitz lui-même qui dénonce cette situation avec une visible épouvante, — ces grands dogmes, dédaignés des classes supérieures, commençaient à devenir indifférens au peuple. Toutes les vertus qu’inspire la foi à un ordre providentiel disparaissaient peu à peu. À l’amour de la patrie, au sentiment du bien public, succédait un égoïsme impudent ; borné par son scepticisme à une vie sans lendemain, l’homme ne songeait plus qu’à jouir. Ce scepticisme ou plutôt cette négation pratique de Dieu devait être un mal singulièrement grave, puisque La Bruyère, vivant à Versailles, initié aux secrets de la cour et de la ville, consacre tout un chapitre de son ouvrage à la réfutation des athées. Toute la littérature de cette période atteste que le mal était profond. Les écrits de La Bruyère, le théâtre de Regnard, les mémoires de Saint-Simon, la correspondance de la princesse palatine, les dernières luttes de Bossuet et l’espèce d’inquiétude qui semble agiter ce génie superbe, les plaintes de Fénelon dans Télémaque, dans la Lettre à Louis XIV, dans maintes parties de sa correspon-