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II

Au sud du pays de Hervé, dans les provinces de Liège et de Namur, entre la Meuse, l’Ourthe et la Lesse, s’étend le Condroz, dont le nom dérive de celui d’une tribu germanique qui occupait cette partie de la Belgique du temps de César : les Condrusii. C’est une région uniforme, triste et froide, dont les plateaux ne s’élèvent pas très haut ; mais, presque complètement privés d’abris boisés, ils reçoivent le souffle glacé des vents qui tombent de la Haute-Ardenne et de l’Eifel. La contrée forme de larges ondulations qui s’étendent parallèlement à la Meuse, semblables à de gigantesques vagues solidifiées. Au fond de chacun de ces grands plis de terrain coule un petit ruisseau bordé de prairies. La vue s’étend au loin sur des champs garnis de moissons l’été, mais complètement dépouillés à l’automne, sans qu’on puisse apercevoir les fermes, les villages et les châteaux, ordinairement cachés dans les fonds, où ils trouvent de l’eau et une protection contre la violence des vents. Au loin sur le ciel se dessinent les rangées de peupliers bordant ce que l’on appelle dans le pays les tiges, c’est-à-dire les chemins qui suivent en ligne droite les crêtes parallèles des collines. En général, la terre est argileuse et naturellement fertile. Le cultivateur n’a plus lieu de s’en plaindre dès qu’on en a débarrassé les parties trop humides de l’eau qu’elles retiennent en excès, et qu’on chaule en temps convenable les champs cultivés au moyen du calcaire qui forme à peu près partout le sous-sol ; mais jusqu’à présent l’homme n’a guère tiré parti des qualités de la terre. Le Condroz est sans contredit la région de la Belgique où les procédés de culture sont le moins avancés relativement aux avantages du sol et du climat. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil rapide sur les produits qu’on récolte et sur les moyens qu’on emploie pour les obtenir.

On retrouve ici l’image à peu près fidèle de ce qu’était l’agriculture dans la région hesbayenne à la fin du siècle dernier avant la transformation agricole dont nous avons indiqué les principaux caractères dans une précédente étude[1]. La base de la succession des récoltes est l’ancien assolement triennal légèrement modifié. Les deux tiers environ sont en céréales d’hiver et de printemps, et le dernier tiers en jachère, trèfle et pommes de terre[2]. La céréale

  1. Voyez la Revue du 1er juin 1861.
  2. Pour faire mieux comprendre l’assolement du Condroz, qui est le type de l’ancienne culture dans la plupart des pays du nord de l’Europe, prenons une ferme de 100 hectares. On y trouve en moyenne 10 hectares de prairies ; les 00 hectares restant se diviseront en trois saisons : céréales d’hiver, avoine et jachère. Les plantes d’introduction récente, trèfle, pommes de terre, etc., sont prises sur la jachère. La ferme est donc, pour employer l’expression locale, de 30 hectares à la raie.