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à la végétation, les bêtes sont mises en prairie, et elles y restent nuit et jour jusqu’aux gelées. Quand elles ont pâturé l’herbe d’un pré pendant une quinzaine de jours, on les mène dans le pré voisin, et on achève ainsi le tour, de manière à laisser à l’herbe le temps de repousser. On réserve toujours l’un de ces pâturages pour le faucher pendant trois ou quatre ans de suite avant de passer à un autre, et cette période est ainsi déterminée parce que c’est seulement la seconde année que les herbes peuvent donner beaucoup de foin, et qu’au bout de quatre ans la quantité diminue. L’hiver, les vaches sont nourries exclusivement de foin. Comme on ne récolte point de céréales, la paille manque pour leur donner une litière, et elles couchent sur un pavé de briques toujours tenu propre. Sans paille, on ne peut faire de fumier ; mais dans quelques fermes l’engrais du bétail est recueilli dans des fosses à purin, ou bien encore on le transporte directement sur les herbages. L’été, lorsque les vaches sont au pâturage, l’engrais est étendu avec soin au moyen d’une large pelle, pour éviter qu’il ne se forme dans les prés ces taches d’un vert plus intense annonçant une herbe trop engraissée qui répugne au bétail, et l’on obtient ainsi ces pelouses d’une richesse et d’une teinte si égales qu’admire l’étranger.

Pour des travaux si peu compliqués, on comprend que chaque famille doive suffire à l’exploitation de la métairie qu’elle occupe. Aussi n’y a-t-il guère de journaliers dans le pays. Ce n’est qu’au temps de la fenaison qu’on a besoin de bras étrangers, et alors il faut faire venir les faucheurs de loin. Ceux qu’on emploie descendent ordinairement des hauteurs de l’Ardenne et réclament un fort salaire, 2 ou 3 francs par jour, outre la nourriture. Ici ce sont les hommes qui sont chargés de traire les vaches, mais ce sont les femmes qui font les fromages. Le lait est versé dans des bacs en bois partagés en compartimens parallèles que des planchettes mobiles divisent encore en cubes semblables aux cases d’un grand échiquier. À mesure que le petit lait s’écoule, on resserre les planchettes, on sale, et on obtient ainsi des fromages crémeux très recherchés en Belgique et en Allemagne. Presque tout le lait est traité de cette manière, car on ne fait guère de beurre que pour la consommation locale. De même que dans les grands pâturages des bords du Pô, les fermiers n’élèvent point ici de jeunes bêtes : on les demande à la Suisse, on les achète en Hollande, où on les obtient à un prix moindre que ce qu’ils coûteraient, si on les élevait sur les lieux mêmes. Comme il n’y a ni terre à labourer, ni produits pesans à transporter au marché, ni engrais à voiturer, on ne trouve point de chevaux dans les fermes ; les foins mêmes se rentrent au moyen de civières, et les marchands viennent acheter les fromages à domicile.