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urbain. La propreté qu’exige le maniement de la paille, le soin et l’adresse que réclame le tressage, les salaires élevés que peuvent gagner tous les membres de la famille, l’aisance qui en résulté, donnent ici aux mœurs cette espèce de distinction et d’élégance qu’on remarque chez les contadine des campagnes de Florence adonnées au même genre de travail. Habitués à une occupation qui semble ne devoir être qu’une distraction pour des mains aristocratiques, les hommes évitent les rudes labeurs des champs et les femmes ceux de l’étable. Les fermiers en sont réduits à recourir aux ouvriers flamands. Les tresseurs ne cultivent pas eux-mêmes la paille dont ils ont besoin ; ils vont choisir dans les champs de froment et d’épeautre les parties qui leur conviennent et les achètent 10 ou 11 francs la verge (de 4 ares 36 centiares) ; puis, quand la tresse est achevée, ils la livrent au marchand à un prix convenu, qui varie de 10 à 200 francs le kilo. Une bonne ouvrière peut gagner jusqu’à 2 francs par jour, et l’homme qui coud et apprête les chapeaux à domicile au-delà de 3 francs. Il suffit de visiter les riantes demeures groupées au milieu des prairies qui bordent le Jaër, de voir l’ordre et la propreté qui y règnent, pour juger jusqu’à quel point un travail de main-d’œuvre intimement associé au travail des champs peut transformer un canton pauvre et isolé. Cette grande aisance répandue sur un sol de qualité ordinaire frappe davantage quand on la compare à l’aspect des villages voisins de la Hesbaye, souvent tristes et sales, quoique assis sur une terre d’une fertilité exceptionnelle.

Quittons maintenant une population qui trouve le bien-être dans une industrie agricole dont les produits sont destinés à satisfaire les caprices de la mode, pour passer à un district peu éloigné, mais dont l’économie rurale offre toute la simplicité des temps primitifs et des hauteurs alpestres. Lorsqu’on sort du vallon du Jaër pour se rendre à Liège par Visé, on voit surgir de l’autre côté de la Meuse un plateau arrondi qui, borné au sud par le torrent de la Vesdre, descend en pente douce vers Aix-la-Chapelle et les frontières de l’Allemagne. Au milieu de ce plateau se trouve une petite ville qui a donné son nom au canton qui l’entoure, et qu’on appelle le pays de Herve. Quoique cette région ne s’élève pas à plus de 350 mètres au-dessus du niveau de la mer, elle rappelle l’aspect du comté de Westmoreland en Angleterre, et le mode d’exploitation est à peu près le même que celui des pâturages des Alpes. Le paysage formant toujours le fond du tableau de la vie champêtre, il suffit de le décrire pour faire comprendre à quel genre de travaux les habitans doivent leur subsistance. Ici le paysage est d’une douceur sans pareille. On voit de toutes parts une suite non interrompue de petits mamelons complètement revêtus d’une herbe