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dit, je souffre de porter seul une responsabilité si grande. Tant qu’il a été question de défendre la route du Donon, il ne pouvait y avoir aucun doute : chacun se doit à la patrie ; mais cette route est perdue, il nous faudrait dix mille hommes pour la reprendre, et l’ennemi entre en Lorraine. Voyons, que faut-il faire ?

— Il faut aller jusqu’au bout, dit Jérôme.

— Oui, oui, crièrent les autres.

— Est-ce votre avis, Catherine ?

— Certainement, s’écria la vieille fermière.

Alors Hullin, d’un ton plus ferme, exposa son plan : — Le Falkenstein est notre point de retraite. C’est notre arsenal, c’est là que nous avons nos munitions ; l’ennemi le sait, il va tenter un coup de main de ce côté. Il faut que nous tous ici présens, nous y allions pour le défendre ; il faut que tout le pays nous voie, qu’on se dise : Catherine Lefèvre, Jérôme, Materne et ses garçons, Hullin, le docteur Lorquin sont là. Ils ne veulent pas déposer les armes ! Cette idée ranimera le courage de tous les gens de cœur. En outre Piorette tiendra dans les bois ; sa troupe se grossira de jour en jour. Le pays va se couvrir de Cosaques, de pillards de toute espèce… Lorsque l’armée ennemie sera entrée en Lorraine, je ferai un signe à Piorette ; il se jettera entre le Donon et la route, et tous les bandits éparpillés dans la montagne seront pris comme dans un épervier.

Tout le monde se leva, et Hullin, entrant dans la cuisine, fit aux montagnards cette simple allocution : — Mes amis, nous venons de décider que l’on pousserait la résistance jusqu’au bout. Cependant chacun est libre de faire ce qu’il voudra, de déposer les armes, de retourner à son village ; mais que ceux qui veulent se venger se réunissent à nous ! Ils partageront notre dernier morceau de pain et notre dernière cartouche.

Le vieux flotteur Colon se leva et dit : — Hullin, nous sommes tous avec toi ; nous avons commencé à nous battre tous ensemble, nous finirons tous ensemble.

— Oui, oui ! s’écrièrent les autres.

— Vous êtes tous décidés ? Eh bien ! écoutez-moi. Le frère de Jérôme va prendre le commandement.

— Mon frère est mort ! interrompit Jérôme ; il est resté sur la côte du Grosmann.

Il y eut un instant de silence ; puis, d’une voix forte, Hullin poursuivit : — Colon, tu vas prendre le commandement de tous ceux qui restent, à l’exception des hommes qui formaient l’escorte de Catherine Lefèvre, et que je retiens avec moi. Tu iras rejoindre Piorette dans la vallée du Blanru en passant par les deux rivières.

— Et les munitions ? s’écria Marc Divès.