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À cent toises en arrière de ce premier front de bataille se développaient quatre immenses lignes de cavalerie. Là étaient d’abord les cuirassiers Kellermann et Milhaud, rangés derrière Reille et d’Erlon : ils étaient prêts à soutenir l’infanterie dans son attaque ; puis venaient après eux, encore à cent toises en arrière, et comme pour recueillir les premiers fruits de la victoire, les grenadiers à cheval, les dragons de la garde de Guyot et les lanciers de Lefebvre-Desnouettes. Toute cette cavalerie, étincelant de l’éclat des casques et des cuirasses, avait près d’elle, dans un intervalle de cent toises, le corps de Lobau comme une première réserve. Ce corps seul s’était massé en colonnes serrées sur les deux côtés de la chaussée de Charleroi, son infanterie à gauche, la cavalerie Domont et Subervie à droite. Au sommet de cet ordre de bataille se déployèrent sur six lignes les vingt-quatre bataillons de la garde à pied. Ces bataillons, sombres et massifs, étaient là, au loin, dans la main du chef, au dernier rang, pour finir la lutte. Deux cent cinquante bouches à feu étaient distribuées sur le front des divisions, dans les intervalles, ou sur les flancs ; l’artillerie de réserve, derrière les lignes. Dans les dispositions préliminaires, il était difficile de trouver un indice certain du plan d’attaque. Tous les points de la ligne ennemie sont menacés. Le duc de Wellington ne peut manquer de rester longtemps incertain sur les projets de son adversaire.

Plusieurs historiens ont mis en doute que ces dispositions préparatoires aient été réellement exécutées telles que je viens de les rapporter d’après les récits de Sainte-Hélène. Ceux-là allèguent que cette formation est plutôt une fête militaire qu’une disposition d’attaque. Le terrain onduleux permettait de se concentrer et de couvrir les masses. Ils ajoutent qu’il est absolument impossible que Napoléon ait perdu un temps si précieux à déployer inutilement des lignes démesurées qu’il faudrait rompre en colonnes dès qu’on en viendrait aux mains. D’autres se contentent de blâmer ; mais il est certain, d’après les témoignages les plus dignes de foi, que ces dispositions ont été vraiment exécutées. Sans doute, par ces vastes déploiemens, Napoléon s’était proposé un but qu’expliquent des circonstances suprêmes. Il voulait donner à l’armée le spectacle de l’armée, ajouter par ce spectacle à la confiance du soldat, l’exalter de la pompe et de la grandeur de cette scène militaire. Il est sûr que par le développement de ces lignes concentriques, que prolongeaient au loin les escadrons de cavalerie légère sur les deux ailes, il semblait déjà déborder et envelopper l’ennemi. Non-seulement il est avéré qu’il déploya ainsi l’armée entière, mais il passa devant les lignes pendant que les tambours battaient aux champs, et que les musiques jouaient au milieu des cris enthousiastes des soldats. Ceux