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de pauvres Arabes nous entoura. L’un d’eux raclait d’un archet grossier deux cordes tendues sur un bois creux. Cette musique un peu monotone ne manquait pas de douceur, elle était même en harmonie avec le frémissement des palmiers sous l’effort de la brise et le bourdonnement des insectes. Le groupe qui nous environnait avait une apparence presque biblique. Ce ne sont pas les cheiks orgueilleusement drapés dans leur abbaïl brune et blanche et chaussés de bottes rouges qui me représentent les compagnons de Moïse ; je retrouve plus volontiers les anciens Israélites dans ces pauvres nomades vêtus d’une simple tunique serrée par une ceinture, les jambes et les pieds nus. C’est sur l’Arabe indigent qu’il faut chercher l’antique costume des Hébreux. Lorsque l’industrie européenne aura porté les derniers coups à l’industrie orientale agonisante, on verra les cheiks tenir leurs robes des fabricans de Paris ou de Londres, qui peut-être en changeront la coupe à leur guise et inventeront des modes nouvelles ; mais la simple tunique du pauvre, filée et tissée par sa femme avec la laine de ses moutons ou de son chameau, ne variera jamais. Aussi doit-on dire avec M. Eugène Fromentin, qui a finement compris le côté pittoresque de l’Orient : « Devant la demi-nudité d’un gardeur de troupeaux, je rêve assez volontiers à Jacob ; j’affirme au contraire qu’avec l’abbaïl de Syrie ou le burnous saharien un peintre ne représentera jamais que des Bédouins. »

La halte se prolongeait, je m’endormis sous un arbre. Au réveil, je fus étonné de me trouver au milieu de la verdure, tant j’avais pris l’habitude du désert désolé de la péninsule ; mais l’oasis disparut, notre caravane suivit l’Ouadé-Mokatteb ou vallée écrite, ainsi nommée à cause des célèbres et mystérieuses inscriptions sinaïtiques que l’on n’a pu encore déchiffrer. Enfin nous débouchâmes sur la Mer-Rouge. Durant un jour, la plage fut notre route, la recherche des coquilles notre distraction. En Orient, on dit « coquilles de la Mer-Rouge, » comme on dirait « lames de Damas. » Le rivage en est couvert ; beaucoup sont très grandes et très brillantes : elles entrent en partie dans la composition des collines. Le pied de celles-ci, miné par la mer, laisse échapper des torrens de coquillages recouverts de terre blanche, qui ressemblent de loin à des ossemens.

Trois jours après, nous franchîmes la baie de Suez. Un train spécial du vice-roi nous attendait. La locomotive, entièrement dorée, paraissait en marche un soleil roulant. Passer de la selle d’un dromadaire dans un wagon, telles sont les surprises que l’Égypte moderne réserve au voyageur. On a pu les remarquer dans ce récit. Le travail européen sur le parcours du canal maritime transforme non-seulement l’Orient physique, mais l’Orient moral. Un instant avant d’apercevoir des traces de colonisation, vous regardez d’un œil