Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/630

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la pierre, par là l’eau s’échappait. Elle ne coule plus, nos péchés en sont cause. » Cette roche se distingue par son aspect de toutes celles qui garnissent le fond du ravin : cependant il en existe de semblables au flanc de la montagne ; mais respectons la tradition. Dans la pierre se nourrit une plante épineuse dont je cueillis une tige, souvenir de mon pèlerinage.

Nous atteignîmes ensuite un petit couvent désert, celui des quarante martyrs, cénobites massacrés par les Arabes aux temps des persécutions. C’est une oasis de grenadiers, d’amandiers, de cyprès et d’oliviers arrosés par un ruisseau. Au sommet du pic, nous embrassâmes un panorama un peu plus étendu qu’au sommet du mont Horeb ; mais les impressions y sont les mêmes. De ces hauteurs, la Mer-Rouge paraît un grand fleuve dont les deux golfes seraient les affluens. On distingue nettement la carte de la péninsule. En jetant les yeux vers Suez, on peut se représenter le peuple hébreu à son origine, sortant de captivité, puis se reporter à l’époque de sa plus grande prospérité, en dirigeant ses regards vers l’Akaba, port de Salomon sur la Mer-Rouge. Le moine abrégea notre contemplation en nous servant sur le plus haut rocher un régal d’œufs durs, d’oignons crus ; d’olives, d’oranges, de fromage et de pain bis, produit du couvent ; mais tout à coup des nuages s’avancèrent du nord en roulant sur eux-mêmes ; il fallut descendre, pour n’être pas surpris et enveloppés. Ces nuages amenèrent une obscurité épaisse à la chute du jour, et nous dûmes regagner le camp à la lueur des torches.

Les questions que nous fîmes aux religieux, pendant notre séjour au Sinaï, sur l’ancien état de la contrée amenèrent des réponses qui nous révélèrent trop clairement l’ignorance complète de ces vénérables solitaires. Établis dans ce couvent depuis des siècles, ils n’ont recueilli aucun document sur la géographie, la géologie, l’histoire de leur patrie adoptive. C’est un spectacle affligeant de voir ces moines paralysés par l’ignorance, cette lèpre de l’église orientale. Un livre n’est-il pas grec, ils ne savent en quelle langue il est écrit. En nous présentant leur Évangile syriaque, « c’est un manuscrit arabe, » nous dirent-ils. Mourad-Bey dut les détromper. Ils vivent au milieu des Bédouins. À peine un ou deux d’entre eux balbutient quelques mots de leur idiome. À cette indolence d’esprit, ils joignent une indifférence coupable. « Vos Arabes seraient-ils rebelles au christianisme ? demandait au supérieur le célèbre voyageur Robinson. — Non, ils l’embrasseraient volontiers, s’il leur assurait du pain. » Et cependant les pères ne songent à rien moins qu’à convertir les Arabes : singulière insouciance chez des moines qui, par de dures pratiques, semblent proclamer leur enthousiasme religieux. Chez eux, l’ascétisme même est aveugle. Quand l’un est saisi d’une sainte ardeur, il