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Je saluai avec joie le soleil du lendemain, car je me levai à demi gelé. Tout grelottans, nous allâmes au couvent. Le voyageur anglais Stanley a bien rendu l’impression que produit la vue de ce monastère. « Ceux qui ont visité, dit-il, la Grande-Chartreuse du Dauphiné connaissent l’étonnement causé par l’apparition de ce vaste édifice au milieu des montagnes désertes. On éprouve cette impression au centuple devant la demeure des moines du Sinaï. Vous êtes stupéfait d’apercevoir au milieu de cette contrée solitaire des tours massives sur lesquelles flotte le double étendard de l’agneau et de la croix, d’entendre les sons prolongés des cymbales grecques appelant les moines à la prière. La Grèce, ajoute-t-il, a frappé cette colonie de son empreinte ; le visage des religieux contraste avec la face brune des Arabes ; les arbres même du jardin diffèrent de ceux du pays. Ce ne sont point des tamarix, des palmiers ou des acacias, mais les oliviers, les citronniers, les cyprès de l’Attique et de Corfou. »

Les canons retentirent de nouveau à notre approche. Les moines sortirent au-devant des princes, puis nous précédèrent en entonnant des chants religieux. Les simples pèlerins sont introduits dans les murs au moyen d’un treuil qui correspond à une meurtrière ; mais on nous fit entrer par une poterne. Après avoir suivi un bas et étroit, couloir qui serpente entre des piles de moellons, servant à le boucher instantanément en cas d’attaque, nous franchîmes plusieurs enceintes de murailles. Grâce à ce moyen de défense, les Arabes n’ont jamais pénétré dans le couvent. On y garde pour deux ans de vivres, et l’eau est assurée par le beau puits de Gethro, qui se trouve dans son enceinte.

Nous voici au milieu d’un dédale de bâtimens et d’escaliers sans ordre ni symétrie. La petite église s’ouvre : elle est riche, les tableaux byzantins y abondent. Malgré le clinquant de l’or, le pittoresque et le mystère n’y font pas défaut ; la porte de bois sculpté date de Justinien, fondateur du couvent. Le lieu le plus vénéré du couvent est la petite chapelle qui occupe l’emplacement du buisson ardent de la Bible. Vu la sainteté du lieu, les moines nous prièrent de nous déchausser, à l’imitation de Moïse. Dans une demi-coupole s’élève un autel richement orné. Sous l’autel, un bassin d’or d’un fin travail marque le point même où fut le buisson. L’art et la piété se sont réunis pour parer ce sanctuaire. Au milieu de la demi-coupole, une mosaïque remarquable représente la transfiguration du Christ entre Moïse et Élie. Moïse n’a point, dans les tableaux grecs, la face vénérable et patriarcale que nous lui prêtons, mais la figure d’un jeune homme sans barbe, vêtu d’une tunique bleue et d’un manteau blanc. Le fond de la mosaïque est formé, comme dans