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rochers jaunes du mont Ataka. Le soleil, radieux comme à notre départ du Caire, se coucha derrière les montagnes d’Égypte. Les rivages de la péninsule du Sinaï, que nous allions bientôt suivre, étaient frappés de ses feux, et sortaient ardens de la mer. On ne peut regarder avec indifférence ce golfe Arabique, où l’histoire et la nature semblent avoir accumulé des événemens et des phénomènes extraordinaires. Chrétiens, juifs, musulmans, doivent respecter ses rivages ; ils virent naître les religions des deux tiers du genre humain, qui se résument par ces deux mots : La Mecque et le Sinaï !

Suivez des yeux ces côtes sur la carte, c’est la seule mer qui, sur une étendue de huit cents lieues, ne reçoive pas une seule rivière. Les montagnes qui la bordent, à l’image de celles du Nil, ne lui envoient pas leurs eaux, et l’on y remarque le singulier fait de fleuves prenant leur source près de la mer et se dirigeant vers l’intérieur des continens. Si un cataclysme de la nature venait à fermer le détroit de Bab-el-Mandeb, le soleil évaporant les flots, après quelques mille ans le lit du golfe Arabique ne serait plus qu’une mine de sel comme les Lacs-Amers.

Il est étonnant aussi que ces contrées, situées au plus à vingt jours de la France, soient moins connues que la Chine. De rares voyageurs ont exploré les régions africaines de la Mer-Rouge ; les rivages de l’Arabie nous sont fermés par le fanatisme. Quelques paquebots de l’Inde, quelques barques des pèlerins de La Mecque, viennent à peine sillonner ces flots silencieux. L’œil n’aperçoit que l’aridité, les îles ne présentent au navigateur que la stérilité du roc vif et le danger des écueils. Cette mer est vraiment effrayante dans sa morne solitude ; mais cette nature morte revivra, le golfe Arabique sera, comme dans l’antiquité, une des grandes routes commerciales du monde ; les marchands et les voyageurs, partis de ses côtes, se feront jour vers le centre de l’Afrique et de l’Arabie ; la Mer-Rouge en un mot deviendra une seconde Méditerranée quand le silence des rivalités politiques, aujourd’hui le seul obstacle sérieux qui entrave le percement de l’isthme, aura permis de joindre les deux mers.

Le camp de notre belle caravane fut assis en face de Suez, sur la rive d’Arabie. Il semblait faire concurrence à la ville. Nous avions hâte d’aller à la poste chercher les lettres arrivées d’Europe. Un canot se détacha d’un paquebot de la malle des Indes ; cet esquif, dont les rameurs étaient Chinois, nous fit traverser la baie en dépit de l’agent sanitaire. Ce personnage, assez grotesque, vint nous avertir que la petite vérole ravageait la ville et sévissait surtout contre les Français. Nous jetâmes cependant un coup d’œil sur Suez. C’est une singulière cité, suspendue entre le désert et la mer, n’ayant auprès d’elle ni un champ cultivable ni une source dont l’eau ne soit pas saumâtre. Elle reçoit aujourd’hui tout ce qui est