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M. Prisse d’Avennes, nous raconta qu’il avait copié le plafond d’une mosquée au péril de ses jours, et que ce plafond était entièrement écroulé quand il acheva son travail. Tant de délabrement est rendu plus sensible encore par la comparaison des temples indestructibles des pharaons avec les monumens chancelans des princes arabes.

Ne calomnions pas le ciel : rarement terni par un nuage, plus rarement encore il envoie de la pluie. Accusons les hommes. Les souverains musulmans de l’Égypte ont toujours songé à élever quelque mosquée nouvelle qui conserve leur nom, leur souvenir, leur tombeau, plutôt qu’à restaurer celle de leurs devanciers, fût-elle une merveille. On cite d’Abbas-Pacha un singulier trait de vandalisme : la mosquée du sultan Hassan, réputée la plus belle, possédait autrefois des lampes d’un très grand prix et d’un travail exquis ; il en restait une ; Abbas, jouant aux cartes, la mit comme en jeu et la perdit. Les Arabes demeurent indifférens en face des ruines et ne bâtissent que de fragiles édifices. Leur architecture, qui donne aux constructions l’apparence de palais aériens, s’harmonise avec cette fragilité. On sent que les hommes qui l’ont conçue sont mobiles comme le sable : l’illusion leur suffit. L’âme d’un peuple est empreinte sur ses monumens. Les anciens Égyptiens, taillant des colosses à leur image, devaient se croire des géans. Selon l’expression pittoresque de Champollion, « ils concevaient en hommes de soixante pieds de haut ! » Bâtissant des temples et des palais, œuvres de plusieurs siècles, ils ne comptaient le temps pour rien, et regardaient la durée et la puissance de leur nation comme éternelles. Les Arabes au contraire semblent toujours pressés de jouir, comme si la vie et le pouvoir allaient leur échapper. Un caprice s’empare de leur brillante imagination, ils le réalisent dans un moment de fougue, et sacrifient à la rapidité de l’exécution la solidité de l’œuvre. L’engouement passé, ils se résignent mal à l’entretenir.

Cependant, si l’on veut se faire illusion sur l’état délabré du Caire et emporter de cette ville un magique souvenir, il faut la contempler du haut de la citadelle. Les ruines s’effacent dans l’ensemble, et la ville, dominée par ses quatre cents minarets, offre à la fois le majestueux aspect de nos capitales et l’apparence gracieuse et fantastique que les Arabes donnent toujours à leurs cités. Le fleuve immense roule ses ondes jaunissantes à travers un océan de verdure. À l’ouest s’étend le désert doré, sur la lisière duquel se présente le panorama des pyramides. La vue que l’on embrasse du haut de la citadelle fait mieux comprendre l’importance de cette partie de l’Égypte, toujours choisie pour le siège de la capitale. Le Caire, accessible aux navigateurs européens, est en même temps le point d’intersection des caravanes de l’Afrique et de l’Asie, et la clé militaire