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militaire, et il était gendre du célèbre Sèves, ce soldat de Napoléon devenu Soliman-Pacha. Le colonel demanda deux semaines pour réunir la caravane. « Reposez-vous, nous dit-il, préparez vos forces. » Naturellement le conseil ne fut pas suivi. Il était peu d’accord avec notre ardeur à tous et en particulier avec l’âge et les goûts de nos chefs. Un jour donc ils nous menèrent à Héliopolis interroger, avec l’aide de Jomini, les souvenirs de nos glorieux soldats, un autre jour aux plaines des Pyramides ; puis ce fut le Delta, actuellement couvert de chemins de fer, que nous explorâmes rapidement, et nous revînmes au Caire, afin de prendre une plus ample connaissance de cette cité, la ville merveilleuse des Arabes. Voyageurs, hâtez-vous de la visiter. Le Caire ne conserve plus que pour un peu de temps quelques merveilles dignes des Mille et Une Nuits. Parcourez surtout les rues commerçantes du quartier arabe, pleines de couleur et de caractère. L’œuvre de Méhémet-Ali, arrêtant en Égypte l’appauvrissement et la déchéance de la société musulmane, a retardé la destruction du commerce oriental. L’invasion des produits de l’Occident, moins apparente qu’à Damas et à Constantinople et limitée au quartier européen, ne vient pas encore ternir ici l’éclat des bazars. L’étranger n’est pas aussi exposé que dans les autres villes d’Orient à voir le marchand, un Ali-Baba quelconque, lui offrir, comme spécimens du luxe oriental, quelque foulard de Lyon ou quelque, épée à poignée de nacre, dépouille d’un préfet venue de notre quai de la Ferraille.

Si l’on sort des bazars pour visiter les parties les plus pittoresques du Caire, on ne trouve guère que des ruines. Qu’en restera-t-il dans quelques années ? En vain l’on cherche aux maisons penchées deux lignes parallèles, la perpendiculaire n’est nulle part. De frôles appuis de bois étaient des blocs de maçonnerie. Vous suivez un jour une rue éblouissante de lumière et de couleur ; les habitations aux corniches sculptées en stalactites, aux fenêtres ornées d’arabesques et fermées d’une dentelle de bois, à travers laquelle la musulmane voit sans être vue, tiennent plutôt du rêve que de la réalité. Le lendemain, ces demeures présentent souvent l’aspect de vaisseaux désemparés. Le vent de la nuit a suffi pour précipiter sur le sol les pièces d’architecture admirées la veille[1]. Les mosquées ne sont pas en meilleur état. Le vaisseau de pierre et les colonnes de ces édifices ne s’écroulent pas encore, mais chaque jour on en voit disparaître les ornemens, moulés ou découpés par l’imprévoyance orientale dans des substances éphémères telles que le plâtre ou le bois. Un savant égyptologue français, qui est en même temps un artiste,

  1. Une tempête sévit durant notre séjour au Caire. Onze personnes périrent dans les rues sous les débris de maisons.