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Avant de faire un pas décisif vers elle, dites un long adieu à la liberté, à l’ordre, à la paix, au crédit, à la prospérité. » Ce sont là les dangers de la démocratie, ce n’est pas son essence. Outre que Royer-Collard en avait parlé lui-même en d’autres termes, elle allait montrer que, bien conduite, elle pouvait vaincre ses mauvais instincts.

En revanche il fut admirable quand il s’attaqua à la souveraineté du peuple. Il ne faut pas confondre la démocratie avec la souveraineté : la démocratie est une forme de gouvernement, le gouvernement du plus grand nombre ; l’idée de souveraineté va beaucoup plus loin, elle suppose la légitimité de tout ce que fait le pouvoir souverain, quel qu’il soit. « La souveraineté du peuple, symbole grossier de la force, cri éternel des démagogues, pâture des factions qui s’en nourrissent et ne s’en rassasient jamais ! Rappelez vos souvenirs ; excepté les premiers jours de 89, si vite écoulés, où la souveraineté du peuple n’avait que l’aspect innocent d’une vérité philosophique, quels sont les crimes publics auxquels elle n’a pas présidé ? À quelle divinité barbare a-t-on immolé plus de victimes humaines ? Je ne confonds point l’empire avec ces temps funestes ; je sais ce que nous lui avons dû, et je lui en garde une sincère reconnaissance. Cependant, pour avoir été glorieux et à quelques égards bienfaisant, l’empire n’en a pas moins été un monstrueux despotisme, tempéré seulement par les lumières supérieures du despote. Eh bien ! aucun des gouvernemens révolutionnaires qui l’ont précédé ne s’est autant appliqué à émaner de la souveraineté du peuple et ne lui a rendu autant d’hommages, hommages qu’elle n’a point repoussés, car, dès que l’anarchie lui manque, c’est dans le despotisme qu’elle va se précipiter. »

S’élevant alors au plus haut sommet qu’il eût encore atteint, il s’écria : « J’ai assez vécu pour voir réformer bien des arrêts rendus par la souveraineté du peuple. Aujourd’hui comme alors, il est permis d’en appeler de la souveraineté du peuple à une autre souveraineté, la seule qui mérite ce nom, souveraineté supérieure aux peuples comme aux rois, souveraineté immuable et immortelle comme son auteur, je veux dire la souveraineté de la raison, seul législateur véritable de l’humanité. » Il est impossible d’aller plus loin et plus haut, c’est le dernier mot de la philosophie politique. Au milieu de toutes nos agitations, nous avons désormais un point fixe qui nous sauvera : il n’y a point d’autre souverain que la raison, éclairée par la discussion et l’expérience.

Quand mourut Casimir Perier, Royer-Collard voulut lui rendre publiquement le dernier hommage ; le discours qu’il prononça sur la tombe de cet héroïque défenseur de l’ordre était énergique et simple. « Chef du cabinet dans une révolution qu’il n’avait point