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la loi malgré l’intervention fort active de Charles X, qui refusa de recevoir l’adresse de l’Académie française et destitua ses rédacteurs. Mutilée par la majorité ministérielle elle-même, elle alla mourir à la chambre des pairs sous les coups d’une commission qui comptait parmi ses membres M. le duc de Broglie. Pour éviter une discussion nouvelle dont les éclats étaient connus d’avance, le gouvernement la retira. Jamais Royer-Collard n’avait été mieux inspiré. Le discours qu’il prononça, mérite de devenir classique. Il exprime une vérité fondamentale en philosophie comme en politique, le principe de la responsabilité et par conséquent de la liberté humaine.

« L’invasion que nous combattons n’est pas dirigée contre la licence, mais contre la liberté, et ce n’est pas contre la liberté de la presse seulement, mais contre toute liberté, naturelle, politique et civile, comme essentiellement nuisible et funeste. Dans la pensée intime de la loi, il y a eu de l’imprévoyance, au grand jour de la création, à laisser l’homme s’échapper, libre et intelligent, au milieu de l’univers ; de là sont sortisse mal et l’erreur. Une plus haute sagesse vient réparer la faute de la Providence, restreindre sa libéralité imprudente, et rendre à l’humanité, sagement mutilée, le service de l’élever enfin à l’heureuse innocence des brutes. Il ne s’agit plus du régime légal de la presse, il s’agit de l’homme lui-même, dégradé de sa dignité originelle et déshérité, avec la liberté, de la vertu qui est sa vocation divine. L’oppression de la presse n’est rien moins que le manifeste d’une vaste tyrannie, qui contient en principe toutes les oppressions et qui les légitime toutes. Une loi des suspects, largement conçue, qui mettrait la France en prison sous la garde du ministère, ne serait qu’une conséquence exacte et une judicieuse application du même principe. Cette égalité de destinée entre l’erreur et la vérité, cette confusion superbe du bien et du mal, c’est dans l’ordre de la justice la confusion de l’innocent et du coupable. N’était-il pas animé et comme illuminé de l’esprit de la loi, cet inquisiteur qui jetait dans les mêmes flammes les orthodoxes avec les hérétiques ? C’est qu’il y a au fond de toutes les tyrannies le même mépris de l’humanité, et quand elles daignent philosopher, ce mépris se déclare par les mêmes sophismes. »

L’Académie française, dont la voix n’avait pu se faire entendre, devait un témoignage de reconnaissance à celui qui avait défendu ainsi les droits de la pensée. Une place étant devenue vacante dans son sein par la mort de Laplace, elle y appela Royer-Collard. Son discours de réception, un des plus beaux que l’Académie ait entendus, roula tout entier sur Laplace et le Système du monde, qu’il apprécia dignement. En lui répondant au nom de l’Académie, M. Daru rappela qu’il avait été élu à l’unanimité ; tous les partis s’étaient confondus dans le sentiment d’une cause commune.