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pays indépendant, et par conséquent une atteinte au droit des gens, tant qu’elle n’était pas justifiée par une évidente nécessité. En l’entreprenant, la France nouvelle se mettait en contradiction avec elle-même, car la guerre qu’elle avait soutenue en 1792 avait pour but de défendre sa propre indépendance contre l’intervention étrangère.

Cet argument ne pouvait pas avoir un grand succès auprès de la majorité ; il ne répondait pas d’ailleurs au véritable motif de l’appel aux armes. Tous les gouvernemens qui ont voulu distraire la nation de ses droits et de ses intérêts ont flatté sa manie belliqueuse. Le parti qui s’était emparé de la restauration voulait avoir aussi ses lauriers et ses victoires. Pourvu que la France guerroie, elle ne demande pas trop pourquoi. Après avoir guerroyé pendant la révolution sous prétexte de défendre les droits des peuples, elle allait guerroyer sous un autre régime pour défendre les droits des rois. Chacune de ces fantaisies militaires lui coûte des milliards et du sang ; mais la fumée du canon l’enivre et l’endort.

Tout en restant dans l’opposition, Royer-Collard avait grand soin de séparer sa cause du parti qui multipliait alors les émeutes et les conspirations. Ce qu’il voulait, c’était l’union de la monarchie et de la liberté, convaincu, comme il le disait souvent, que l’une ne pouvait subsister sans l’autre. Quand survint l’incident de l’expulsion de Manuel, il se prononça contre l’acte violent de la majorité, mais en même temps il fit ses réserves contre le fait imputé à l’expulsé. « Depuis trois ans, on se plaint de l’abus de la parole et de la licence de la tribune. Je ne suis pas le protecteur de la licence, et toute espèce d’excès m’est odieuse. Je dirai cependant avec franchise qu’il y a dans ces plaintes de l’exagération, de l’injustice, et trop peu d’attention à la nature et aux besoins du gouvernement représentatif. Nous avons besoin d’apprendre longuement, et par des expériences répétées, que la plupart des dangers qui nous effraient sont imaginaires. Cependant le gouvernement représentatif porte ce fardeau immense de la peur qu’il nous fait, et quelquefois il y succombe. Il porte aussi un autre fardeau, qui s’allégera chaque jour, mais dont le poids se fait aujourd’hui péniblement sentir. Nous sortons d’une révolution qui a duré assez longtemps et qui a été assez profonde pour laisser partout des traces. Cette révolution professait la justice, elle en contenait les principes, et cependant elle a été immorale dans ses actes, et non-seulement elle a été immorale, mais elle a fait trophée de son immoralité ; elle a été cynique, et c’est son plus mauvais caractère. Ce cynisme s’est empreint dans le langage, et il le corrompt encore aujourd’hui. Les opinions, j’en suis convaincu, valent mieux que le langage, et les sentimens, les intentions valent mieux encore que les opinions. Le temps emportera