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de punir cesse avec l’utilité de le faire. Ce n’est pas toujours le nombre des supplices qui sauve les empires. L’art de gouverner les hommes est plus difficile, et la gloire s’y acquiert à un plus haut prix. Nous aurons assez puni, si nous sommes sages et habiles ; jamais assez, si nous ne le sommes pas. » La commission ayant proposé en même temps d’indemniser l’état, sur les biens des condamnés, des. préjudices causés par le 20 mars, Royer-Collard donna à cette prétendue indemnité son véritable nom. « C’est de la confiscation qu’il s’agit, s’écria-t-il. Les confiscations sont si odieuses que notre révolution en a rougi, elle qui n’a rougi de rien ; elle a lâché sa proie, elle a rendu les biens des condamnés. Que doit-on penser quand la confiscation est proposée, non pour l’avenir, mais pour le passé, contre la charte, qui abolit cette peine et qui défend de la rétablir ? »

Jusque-là tout était bien ; mais la manière magistrale de Royer-Collard allait bientôt l’entraîner trop loin. On sait quel singulier spectacle présenta vers la fin de sa session la chambre de 1815. Les ardens partisans de l’ancien régime, ou de ce qu’on appelait l’ancien régime, se sentant en majorité, voulaient transporter le pouvoir dans la chambre ; les défenseurs des droits et des intérêts nouveaux, se sentant appuyés par le roi, invoquaient au contraire à tout propos l’autorité royale. Cette interversion des positions naturelles se fit sentir surtout dans la discussion de la loi sur les élections proposée par M. de Vaublanc. Royer-Collard y fit plusieurs professions de foi d’un royalisme outré ; il s’attacha à démontrer que le gouvernement organisé par la charte n’était pas un gouvernement parlementaire à la manière anglaise, car ce n’est pas d’hier que datent les récriminations contre l’imitation de l’Angleterre. « En Angleterre, l’initiative, qui est le principe de l’action, la haute administration et une grande partie du gouvernement résident dans la chambre des communes ; chez nous, le gouvernement tout entier est dans la main du roi ; le roi gouverne indépendamment des chambres ; leur concours, toujours utile, n’est cependant indispensable que si le roi reconnaît la nécessité d’une loi nouvelle et pour le budget. Si vous voulez substituer le gouvernement anglais à notre charte française, donnez-nous la constitution morale et physique de l’Angleterre ; faites que l’histoire d’Angleterre soit la nôtre ; mettez dans notre balance politique une aristocratie puissante et honorée ; faites plus encore, donnez-nous ce qu’on appelle si improprement les abus de l’Angleterre, car si la réforme parlementaire depuis si longtemps invoquée avait lieu, si les irrégularités nombreuses qui se sont introduites malgré la théorie n’existaient plus, c’est l’opinion des hommes d’état de ce pays que l’Angleterre serait aussitôt précipitée dans l’abîme des révolutions. »