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la constitution civile du clergé. Camille Jordan commença l’attaque, Royer-Collard le suivit.

Trois ans seulement après le 9 thermidor, quand le sang des échafauds fumait encore, il s’est trouvé un homme pour dire à une assemblée alors toute composée d’élémens révolutionnaires : « Vous ne voulez pas détruire le catholicisme en France, parce que vous n’êtes pas d’absurdes tyrans ; vous ne le devez pas, parce que le culte catholique est, comme tous les autres, sous la garantie de la constitution. Je me hâte d’affirmer que vous ne le pouvez pas. La destruction du catholicisme ne pourrait s’opérer que de deux manières, ou par l’anéantissement de tout principe religieux, ou par l’établissement d’une religion nouvelle, qui deviendrait aussi la religion de la majorité. Ce n’est pas à des législateurs éclairés qu’il est besoin de redire que jamais, non jamais, ils ne donneront le change au plus impérieux besoin de la multitude, le besoin de croire, de s’élancer dans l’avenir, d’étendre ses espérances et ses craintes au-delà des bornes du monde physique et de la vie humaine. Et si les principes religieux sont inhérens à notre nature, en telle sorte que nous ne puissions pas, même par la pensée, en séparer l’existence des sociétés civiles, où est-elle cette religion plus digne que la religion catholique de la protection des lois et prête à s’élever triomphante sur ses ruines ? O vous qui, dans la profondeur de votre ineptie, prétendiez substituer aux dogmes d’une religion que dix-huit siècles ont couverts de leur vénérable poussière je ne sais quelles niaiseries philosophiques, savez-vous ce que c’est qu’une religion ? » On a justement loué le premier consul d’avoir rétabli, quatre ans après, le culte national ; mais on voit que Bonaparte avait été précédé : la tribune avait commencé ce que l’épée devait accomplir.

Ce discours se terminait par cette péroraison admirable : « Hommes d’état, vous vous emparerez de la justice comme du plus profond des artifices et de la plus savante des combinaisons politiques ; par elle, vous pacifierez le présent et vous conjurerez l’avenir ; vous relèverez l’opprimé, vous épouvanterez l’oppresseur. Aux cris féroces de la démagogie invoquant l’audace, et puis l’audace, et encore l’audace, vous répondrez enfin par ce cri consolateur et vainqueur, qui retentira dans toute la France : La justice, et puis la justice, et encore la justice ! » Un pareil langage ne pouvait retentir longtemps impunément aux oreilles de la faction dominante ; le coup d’état du 18 fructidor éclata. Royer-Collard ne fut pas, comme son ami Camille Jordan, placé sur la liste des déportés qu’on envoyait mourir à Cayenne ; mais son département était au nombre des quarante-huit dont les élections furent annulées, et il rentra dans l’obscurité.

Il n’avait eu jusqu’alors aucune relation avec les princes émigrés ;