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pour lui, avec une franchise barbare, « qu’il suspendrait les hostilités quand il serait entré dans Paris, pourvu que Napoléon lui fût livré. » Cela n’empêcha pas le maréchal Davoust de tenter directement de nouvelles ouvertures, sur quoi Blücher prit occasion d’exhaler sa haine dans la réponse suivante : « Voulez-vous assumer sur vous le sac de Paris comme celui de Hambourg ? Nous voulons entrer dans Paris pour garantir les honnêtes gens contre le pillage dont ils sont menacés par le peuple. »

Ainsi cette accusation de pillage, c’est de notre ennemi le plus acharné que nous la tenons. Que de fois nous l’avons entendue depuis ce temps-là et toujours dans le même sens ! Le maréchal Blücher l’a fait entrer dans notre langue politique. Toutes les fois qu’il s’est agi de montrer quelque énergie, quelque courage d’esprit, quelque hauteur d’âme, ou lorsqu’il aurait fallu défendre une position morale, une idée acquise, une vérité obtenue au prix de millions de vies, le mot de Blücher a été répété : « Vous voulez donc le pillage ? » et l’on a ouvert les portes et cédé jusqu’à ce qu’il n’y eût plus rien à défendre.

L’assemblée des cent-jours en a appelé dans ses derniers momens à la conscience des générations futures. Nous sommes ces générations, et nous répondons que nous avons été fraudés. C’était à elle de nous léguer le désastre sans l’augmenter de ses prosternations. On n’a pas le droit d’exiger d’une assemblée l’héroïsme d’un autre temps, cela est vrai ; mais on doit reprocher à celle des cent-jours d’avoir servi de jouet aux ennemis en se laissant amuser jusqu’au bout par des négociations dérisoires. Le plus grand mal que l’on puisse faire à la liberté, à la justice, à l’honneur, à toutes les plus belles choses de ce monde, c’est de leur faire jouer le rôle de dupe : infaillible moyen d’en dégoûter les hommes.

Dans ces entrefaites, Fouché n’avait cessé d’être en communication suivie avec les ennemis. Il était décidé à agir conformément à leurs vues. La première chose était de gagner un grand nombre de députés. Il y réussit sans trop de peine, tenant à chacun un langage différent. Son dernier effort fut de préparer les chambres à la restauration de la légitimité ; pour cela, il fallait trouver une phrase, un mot qui mît à l’aise toutes les défections. Ce mot fut alors la conservation de la capitale. On faisait à chacun de la sorte un devoir civique de se livrer sans résistance ; la pusillanimité même devenait une vertu. Quand on a fait aux hommes une dignité de leur propre faiblesse, il faut admirer avec quelle unanimité ils se précipitent, car on a à la fois les bons et les mauvais. Cette unanimité ne manqua pas à Fouché. Sous sa dictée, la chambre des représentans adressa une proclamation aux Français, modèle de ce langage tortueux