Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/557

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les dangers les plus crians, que la grande affaire désormais est d’avoir l’air, que le temps des subtilités de Byzance est revenu, et que l’esprit français, jusque-là simple et lumineux, même dans ses erreurs, entrait dans sa période d’ambiguïtés et de sophismes. Dans le péril suprême, l’action de cette assemblée fut nulle, son héritage funeste. Pour nous, qui avions eu à peine le temps de la connaître, nous ne sûmes ni la regretter ni l’accuser. Elle disparut sans bruit dans le naufrage de tous. L’oubli la sauva des reproches.

Waterloo n’avait été qu’un désastre ; les négociations furent pis. On souffre en lisant ces notes, ces instructions, ces correspondances sur des négociations qui n’existent pas, qui ne sont qu’un leurre grossier, dont le mensonge éclate à chaque mot. Pourquoi remplir ces dernières heures par tant de paroles dérisoires ? Que ne se taisait-on comme en 1814 ? Le silence eût cent fois mieux valu. Un pays tombe sous le poids de six cent mille ennemis : cela est simple et peut être digne ; mais ces vides colloques au nom de la liberté, qui concluent à une prompte servitude sous l’étranger ! c’était déjà ce langage effacé sous lequel devait disparaître un jour, chez nous, jusqu’à la dernière trace des énergies de l’âme.

La vraie calamité de 1815, la voici : dans l’invasion de l’année précédente, Napoléon seul avait paru responsable ; mais ici la liberté se montra, et ce fut seulement pour prendre la responsabilité de la dernière heure dans une cause perdue. Ainsi, ce qui aggrava toutes choses, après l’impuissance du despote on vit l’impuissance de la liberté ; il sembla que l’on assistait à la défaite de l’esprit après la défaite des armes. Que l’on ait pu croire à l’efficacité des négociations, qu’un manque si absolu de pénétration et de clairvoyance ait été possible, que les commissaires de l’assemblée aient si obstinément fermé les yeux à l’évidence, que les outrages n’aient pu leur rendre la conscience d’eux-mêmes et des choses, cela semble incroyable. Nous le déclarerions impossible, si nous n’avions vu nous-même de quel aveuglement peut être frappé un parti au moment où il touche à sa ruine.

Le duc de Wellington renvoya les négociateurs avec ces mots : « qu’il ne voudrait pourtant pas leur faire perdre leur temps, » et comme ils insistaient pour rester, il leur offrit de les diriger vers les souverains alliés, qui étaient alors à Heidelberg. Les négociateurs firent ce long et inutile voyage jusqu’à Haguenau : les rois refusèrent de les voir et les renvoyèrent à leurs ministres ; les ministres les congédièrent sans réponse.

Ici encore la haine de Blücher fut moins nuisible, car elle ne permit pas l’erreur. Il ne consentit pas même à échanger une parole avec les négociateurs français. Un de ses aides-de-camp répondit