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X. — NEGOCIATIONS.

L’ennemi était aux portes, il n’était plus possible de l’ignorer. Soit que la commission du gouvernement crût réellement que Napoléon était le seul motif de guerre, soit qu’elle affectât de le croire, elle envoya des plénipotentiaires aux commandans en chef des armées alliées. Quelques-uns de ces commissaires atteignirent le duc de Wellington à Étrée, et ses dépêches[1] contiennent à ce sujet de graves déclarations. On y voit clairement que l’assemblée, par ses négociateurs, avait deux ou plutôt trois langages, l’un pour le peuple et l’armée, l’autre pour les alliés, le troisième pour les politiques. Elle avouait, par ses mandataires, au duc de Wellington que son plus vif désir était d’ouvrir les portes à la restauration, au peuple qu’on proclamait Napoléon II, aux étrangers que cette proclamation n’était qu’un leurre, aux soldats qu’il s’agissait de défendre la patrie, aux coalisés que les soldats étaient un danger de guerre civile, à l’armée que Napoléon II était son chef, aux rois que tout autre que Louis XVIII ne serait qu’un usurpateur. Dans ce conflit de paroles opposées, la seule chose qui parut certaine, c’est qu’on voulait la restauration sans avoir l’air d’y être forcé.

Quelle autorité pouvaient exercer sur nous ces mots ambigus dans une crise semblable ? Quelle résolution pouvait sortir de là, ou même quelle habileté, puisque dès ce temps ce mot sembla surnager seul dans le naufrage de la langue elle-même ? Le jugement que l’histoire portera sur cette assemblée sera sévère. Elle vécut à peine un mois ; dans cet intervalle, elle renversa un maître abattu, elle fut impuissante dans tout le reste. En dehors du despotisme militaire, il n’y avait que deux choses, car il ne faut pas croire que les formes de gouvernement soient en nombre infini : ce qui a précédé l’empire et ce qui l’a suivi, la république ou la restauration. Et comme personne n’osa seulement prononcer le nom de la première, que l’armée empêchait que l’on avouât ouvertement la seconde, il ne resta que la ressource des paroles détournées, des subterfuges, des subtilités : triste berceau de la liberté à venir, dans lequel disparut un moment la nation française.

N’osant rien attester, ni de la France nouvelle, ni de la France ancienne, ni de la révolution, ni de la restauration, cette assemblée ne put conserver la tradition d’aucun droit ni empêcher l’invasion. Pour ce dernier point, elle ne le tenta pas même ; mais elle nous laissa dans le gouffre. Tout ce qu’elle nous apprit, c’est ce funeste secret que l’on peut, sous de vains subterfuges, faire illusion sur

  1. Gurwood, The Dispatches of the field-marchal the duke of Wellington, vol. XII.