Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/546

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec les 3e et 4e corps et la cavalerie d’Exelmans, avait pris position sur la rive gauche ; mais là les travaux de défense étaient à peine commencés.

L’armée qui venait couvrir Paris comptait encore 70,000 hommes. Ajoutez-y 17,000 tirailleurs fédérés, presque tous anciens soldats. Les 30,000 hommes de la garde nationale élevaient ce chiffre à 117,000 combattans. Que ne pouvait-on attendre encore de ces 117,000 Français appuyés sur les retranchemens que je viens de décrire et combattant pour leurs foyers ? Les Anglais et les Prussiens, après les détachemens qu’ils avaient dû faire pour masquer ou bloquer les places du nord, n’étaient pas beaucoup plus nombreux.

En entrant dans Paris, Grouchy, que les accusations commençaient à entamer, et qui douta trop de lui ou désespéra trop tôt de la patrie, donna sa démission. Le maréchal Davoust le remplaça dans le commandement ; il établit son quartier-général à La Villette.


VII. — LA CHAMBRE DES REPRESENTANS.

À Paris, l’effet de l’abdication avait été naturellement plus faible dans le peuple que dans l’armée. La surprise ne s’y ajouta pas, car on avait vu heure par heure le pouvoir de Napoléon céder et disparaître. Comme s’il eût dû représenter à jamais la force pour être adoré, dès que la force lui manqua, il y eut pour lui de la pitié dans les masses ; avec la pitié commencèrent l’examen, la critique, et bientôt le blâme de l’idole. Chacun se désintéressa de la chose publique, soit que ce mot de fatalité, prononcé si souvent et de si haut, eût glacé tous les cœurs, soit plutôt qu’on se fût accoutumé à tout renfermer, passé, présent, avenir, dans un seul homme. Lui tombé, il ne restait plus rien qui valût la peine d’un sacrifice. Chacun se retira comme d’un spectacle public après que le rideau est baissé.

On n’aurait jamais imaginé qu’un tel homme, relevé par un si grand prodige, pût tomber de nouveau et disparaître dans un tel silence de peuple. Pas une protestation, pas un essai de soulèvement contre la destinée nouvelle, quand rien n’eût pu empêcher le peuple de montrer ses regrets et qu’il avait l’armée pour complice, mais une prompte et muette obéissance, et après que l’acte d’abdication fut consommé, pas un murmure ! On se hâta d’obéir à cette dernière volonté du maître, sans chercher si elle était libre ou forcée. Quant à nos provinces, pas une parole, pas même un adieu au vaincu. Sur cette longue route triomphale de Cannes à Paris, partout le même silence, l’abandon ou la soumission à ce que nous avions appris à nommer fatalité ! L’ennemi s’approchant par masses