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l’abdication. Toute l’assemblée se leva, et d’un cri unanime répondit : L’abdication ! approuvé. Cette nouvelle mit Napoléon hors de lui ; il s’écria que le temps perdu en vaines menaces contre des révoltés pouvait encore être réparé ; mais ce fut la dernière résistance d’une volonté qui s’éteignait. Même ses frères furent de l’opinion qu’il était trop tard pour résister, et ils le pressèrent de se dépouiller du pouvoir avant qu’on ne vînt le lui reprendre. Déjà, au lieu de l’abdication, on menaçait de la déchéance.

Ceux qui ont assisté à cette agonie d’une grande volonté racontent que tant qu’il médita sérieusement des projets de violence, il les renferma en lui-même, ou ne s’en ouvrit qu’à quelques-uns. Lorsque le temps en fut passé, il s’exhala en menaces ; bientôt même ces menaces furent oubliées, et, comme si elles n’eussent été qu’apparentes, quand on le pressa de nouveau et qu’il se vit au moment d’être forcé, il dicta d’une voix rassise la déclaration d’abdication en faveur de son fils à ce même Lucien qui avait été le plus obstiné à conseiller la force. Alors on revit ce que l’histoire a rencontré cent fois, mais jamais peut-être avec de si grands contrastes, l’abandon, le silence autour de ce fils de la renommée, ses familiers eux-mêmes se retirant un à un, le palais désert à peine gardé par une sentinelle, la foule même, ce courtisan de la dernière heure, se dispersant au loin et sans espoir, de vagues menaces d’assassinat circulant dans ces solitudes, et, comme si l’abandon n’était pas encore assez profond, l’invitation, puis bientôt l’ordre à ce maître des maîtres de se retirer plus loin, hors des regards de Paris, dans l’obscurité de la Malmaison.


IV. — PROJETS DE NAPOLEON.

Voilà ce qu’étaient devenus ces projets mystérieux médités la nuit dans le secret du palais de l’Elysée. En quoi consistaient-ils réellement ? Napoléon a eu soin plus tard de nous en instruire lui-même. « Se rendre le 22 au point du jour au palais des Tuileries, y convoquer toutes les troupes de ligne qui se trouvaient dans la capitale, les six mille hommes de la garde impériale, les fédérés, la garde nationale, le conseil d’état, les ministres et ajourner les chambres. » Que si elles résistaient, les contraindre ; se livrer, s’il le fallait, aux actes les plus terribles, gouverner au besoin par la hache des licteurs.

Telles étaient en effet les conditions du problème que Napoléon avait rapporté avec lui de l’île d’Elbe. Ces conditions, qu’il aurait dû prévoir nettement, mûrement, dès la première idée qu’il se forma de son entreprise, lui apparurent seulement à cette dernière heure,