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que l’on avait mise à le poursuivre, n’avoir affaire qu’à un simple détachement. Il s’apprêtait à suivre le mouvement général vers Waterloo. Déjà même il avait envoyé une de ses brigades vers Saint-Lambert, lorsque les Français parurent. Il se disposa à leur disputer vivement le défilé. Les débouchés des ponts furent occupés, les troupes massées dans les rues parallèles, les réserves tenues à distance, sur les hauteurs, en face de chaque point de passage.

Grouchy, de plus en plus excité par le tonnerre de ces quatre cents pièces d’artillerie qui grondait sans intervalle au bout de l’horizon, prit à peine le temps de reconnaître les lieux. Il se décida seulement à tomber tête baissée sur l’ennemi par le plus court chemin. Dans l’impatience de s’atteindre, on commença l’action de loin par une vive canonnade des hauteurs opposées, dès que l’on s’aperçut. Sous cette voûte de feu, nos tirailleurs se précipitent dans la vallée. Ils bordent la Dyle et s’engagent, à travers cette étroite rivière, avec les tirailleurs déployés sur l’autre rive. Derrière ce rideau se forment les colonnes de Vandamme. Les ponts n’avaient pas été coupés ; on y court. Une lutte de plusieurs heures commence. À peine les nôtres ont-ils franchi les ponts, les têtes de colonnes « ennemies débouchent des rues transversales. C’est là, encore une fois, un de ces combats de rue où l’attaque trouve un obstacle à chaque pas. L’impétuosité ne peut rien qu’à force de patience et de temps.

Onze fois le corps de Vandamme s’est brisé dans ces attaques de front. Grouchy tente alors le passage à travers le moulin de Bierges, situé plus haut, à 1,200 mètres de la ville, en rase campagne ; mais là aussi la résistance est vive, l’obstacle difficile : un pont étroit, flanqué de deux murs, qui débouche dans une cour partout crénelée, et au-dessus, en amphithéâtre, la 12e division prussienne déployée, avec une batterie qui commande le passage. Un bataillon de Vandamme a déjà été repoussé. Grouchy, que l’impatience gagne, met pied à terre. Il prend avec lui un bataillon du 4e corps et le porte à l’attaque du pont de Bierge. Le général Gérard marche en tête. Lui seul avait alors le clair pressentiment des calamités prochaines. Mécontent de son chef, il semblait chercher la mort. Il tombe frappé d’une balle qui lui traverse la poitrine. L’attaque est manquée.

Terrible jeu de la guerre qui mêle dans le même moment l’espérance et le désespoir ! La seconde dépêche de Napoléon, écrite à une heure, est remise alors à Grouchy. « Ne perdez pas un instant pour vous rapprocher de nous et pour écraser Bulow, que vous prendrez en flagrant délit. » Quel abîme sépare le moment où ces paroles ont été écrites de celui où elles ont été reçues ! Ecraser Bulow ! il était alors aux prises avec Lobau, dans Planchenoit, à quatre lieues de